mercredi 3 février 2016

Fragment : Le refoulement ontologique originaire





   La seule et unique question que doit se poser la philosophie qui interroge l'Être et sa présence dans son dévoilement et son retrait dans le monde, est celle de ce refoulement originaire ontologique qui refait surface sans cesse dans le "symptôme" qui est notre existence. L'existence ne peut être que le symptôme de la Vie, la coagulation du flux incessant héraclitéen qui fonde le devenir, devenir qui provient de la tension occasionnée par l'écart entre l'Un et le Multiple. Si la Vie provient du magnétisme que les polarités opposées (l'Un et le Multiple) produisent, l'existence est son ralentissement, voire son arrêt momentané. Car "nous naissons ici pour renaître ailleurs".


Le refoulement existential (ontologique) est donc à comprendre comme la source du questionnement, du "désir de la pensée" pour reprendre la formule de Blanchot. Il est intimement lié à la recherche de l'origine qui elle même est intriquée à celle de la recherche de l'objet perdu dans la sphère ontique. Ainsi la mélancolie est le versus ontique de "l'Amélancolie" qui détourne son regard du monde pour cerner l'horizon et la possibilité d'une forme qui dessinerait les contours d'un lieu qui ferait signe vers la patrie d'origine du dasein. Or, nous le savons, l'horizon se dérobe à la saisie de notre regard, s'éloigne à chaque pas que nous faisons vers lui, parce qu'il ne contient aucun objet que nous pourrions capturer par l'entremise de nos sens. Il nous laisse face à un arrière-plan qui absorbe tout objet et objection, nous laissant rêveur, plus encore que le ciel étoilé. Dans l'absence qu'il nous présente, l'horizon est cette droite courbée qui se perd entre deux bleus. Il nous donne à voir dans la symbolique de la couleur et dans la mi- découpe de deux plans (la mer ou l'océan à perte du vue) et le ciel sans limite, deux plans symétriques qui ne se replient que "là" où le regard peut fixer sa propre limite.



L'émotion qui s'en dégage et celle qui procède du retrait de l'Être qui se dérobe tout en se dévoilant,(aléthéia heideggérienne) laissant une trace  infime et subtile à la fois. La limite ne peut faire séparation et la courbe médiane divisant les deux plans (les eaux et le ciel) fait figure de "trait unaire" lacanien qui relie une alliance ontologique figurée par le RSI. L'imaginaire se fond dans le ciel où notre pensée se perd dans les labyrinthes des possibles (imaginant et imageant toutes les fictions possibles quant à ce monde caché qui abrite les dieux), le Symbolique est le support (les eaux) qui permet au ciel et à ligne de démarcation d'émerger de la surface plane, de son substrat (le langage est le sur ce quoi repose l'image et l'au-delà de l'image), enfin le Réel est incarné par le pur regard dépouillé d'objets  à capturer, qui doit déposer les armes pour s'évanouir dans le Bleu attractif et absorbant de l'Horizon. Le Bleu qui calme, pacifie le regard et la pensée, clôt  le langage sur lui-même, rend aussi muet l'homme qui découvre que son questionnement se résorbe dans l'immensité. Doit-il comprendre que les réponses sont hors de sa portée, qu'il doit renoncer à interroger le ciel et se tourner vers le monde phénoménal pour se contenter de ses réponses ?


Qu'elle est mon origine, d'où viens-je ? D'un point de vue ontique (et la psychanalyse ne l'a que trop bien compris), je viens de ma mère. D'ailleurs seule elle le sait, le père n'étant que le père réel supposé. Elle est donc à la fois "supposé savoir" et "non savoir supposé". Elle est la vérité. Quant à savoir d'où provient ma propre mère, cela se complique car elle-même est suspendue au "bon savoir" de sa propre mère,... et ainsi de suite. Finalement la régression à l'infini avait déjà posé un problème à la philosophie (depuis Aristote et jusqu'à Kant)  et dans ce qui nous intéresse, on voit déjà les limites de notre recherche quant à notre origine biologique, transgérationnelle.  Nous la subissons comme un symptôme qui est la résonnance d'une chaine longue et presque infinie peuplée de nos ancêtres qui perpétuent la même soif de questionner leur origine. Le mythe d'Adam et Eve se propose de nous répondre quelque chose à  ce sujet, mais il ne répond que partiellement à notre désir de savoir qui ne se limite aucunement à notre naissance humaine. Notre désir semble provenir de l'inscription que L'ÊTRE a déposé dans notre inconscient collectif dont la racine est notre origine ontologique. De quels dieux sommes-nous les fils ?  L'absence ou l'attente de réponse crée cette présence-absence ontologique, provoquant cette émotion amélancolique  issue du refoulement originaire ontologique qui creuse une faille dans le Réel à partir de laquelle nous pouvons ressentir et entrevoir notre "Abandon" qui précède tout sentiment ou toute expérience de "séparation".


Notons au passage que cette émotion primordiale précède toute angoisse ou affect qui serait lié à la conscience de notre finitude en tant qu'homme mortel. L'abandon est donc réel même s'il porte en lui les traces et les stigmates de la présence de l'être, celles qui font sens dans les effets qu'elles produisent dans notre langage, vestige vivant du logos. C'est l'inscription qui devient visible puis lisible et dicible autour du cheminement que le poète fera pour chanter le cri des mots qui appelle l'absence contenue dans cette figure de l'être qu'est l'Abandon, et qui reconnaît en appelant et déchirant le silence du ciel, le passage des dieux sur notre terre. Si le cri camusien demeure sans réponse, le poète lui se rive à l'être (pour faire écho à une expression chère à Levinas) et ne laisse jamais l'espace d'une ombre qui pourrait obscurcir la lumière par laquelle le jeu des formes danse dans ce rituel magique qu'est la Vie. La danse de la vie est le mouvement même qui rassemble les traces des dieux qui ont séjourné sur terre. Capter ce mouvement et cette rythmique, c'est donner du souffle à la voix pour qu'elle porte les mots, les aspirent, et les secouent de manière à faire trembler le langage afin que le logos fasse irruption par bribes. C'est ainsi que ces bribes constituent les fragments du Réel par lesquelles il se morcelle et se décompose pour nous conter sa provenance et sa teneur. Les effets de sens qui se produisent pour le sujet qui entend la poésie (et sa poésie pour l'analysant dans la sphère ontique et dans le cadre de la cure psychanalytique) le réconcilie avec l'Abandon sur lequel s'est déposé un (son) déni ontologique pour faire taire le refoulement originaire ontologique dont le symptôme est en premier lieu "l'oubli de l'ÊTRE". (si décrié par Heidegger).













































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