L'Alphabet de L'Être...

L'Alphabet de lettres comme celui de l'être reste à déchiffrer et il n'est pas celui qui se limite à ses mots et au jeu de significations ou de sons qu'il produit. C'est l'Art et principalement le poète qui a pour mission de nous le faire découvrir même si à chacune de ses avancées, il se dérobe. Mais son retrait ne laisse pas apparaitre les mêmes signes qu'il laisse derrière lui et ses traces nous renseignent à chaque fois mieux sur l'Être qu'il représente : la langue et non seulement le langage qui en est sa pâle copie. C'est donc un jeu de patience, de présence-absence que le poète et l'Être jouent ensemble, où chacune des parties joue dans une temporalité qui n'est pas la même. C'est pourquoi la patience de l'un équivaut à l'immédiateté de l'autre. Si le temps nous parait long, la route interminable, pour retrouver sens et réponses devant l'absurde inquiétant et incommensurable qui absorbe nos cris d'appels perdus dans le silence, c'est "il y a ce quelque chose" qui fait chemin vers nous, vers notre rencontre. L'attente est la trace qu'il laisse dans un futur antérieur, la promesse de l'advenir et du "deviens ce que tu es", par l'intervention du temps qui accompagne et guide l'initié qui se cherche Le temps met du temps à nous parler et se faire entendre dans sa langue secrète même s'il peut nous précéder dans nos pas (Kairos) et nous faire advenir à nous-mêmes dans l'immédiateté.
L'Alphabet de l'Être (de Lettres), tel "le
vent dans les voiles de notre pensée", nous pousse vers
un rivage, vers une terre inconnue. La temporalité est en
quelque sorte la direction de ce vent, l'orientation du Voyage, mais
celle-ci ne nous renseigne pas pour autant sur la nature ou la géographie de ce
lieu qui est en passe de devenir notre futur point d'ancrage. Ce point
d'ancrage qui est notre Topos. Comme une terre qui se profile et qui se
dessine timidement derrière le rideau des brumes maritimes, notre cap précède
de loin notre arrivée à bon port et excède aussi de loin la portée de notre
vision. Comme Sénèque nous l'a enseigné au travers de sa
sentence :"Il n'y a pas de vent favorable pour le marin qui ne sait où
aller", de même il n'y a pas de terre d'asile pour l'Homme qui a dévié de
sa trajectoire originelle : l'Eternité. Le changement de cap impose de fait,
une crise de conscience plus qu'une prise de conscience, le confrontant à cette
douleur insurmontable : sa finitude. Ce fait existentiel est le symptôme d'un
mal beaucoup plus profond, enraciné dans la sphère ontologique qui sous-tend
l'Etre tout entier de l'Homme. Douleurs et symptôme font signe vers sa terre
d'origine, celle qui fut désertée jadis par les dieux. Retrouver leur
trace revient de prime abord à la re-chercher, recherche qui loin d'enfermer
l'Homme dans une finitude nécessaire et irrémédiable, pourrait bien l'en
libérer. L'Heure du Dasein, le grand midi, va peut-être sonner. L'évènement
(Ereignis) tant attendu commence à se faire entendre par la voix
de l'Alphabet de l'Être, que seuls quelques poètes
pourraient décrypter si les dieux leur permettaient. "Alors ils
traceront sur leurs océans d'aquarelle un sillage à l'écume
jaillissante, porté par le vent des brumes frémissantes, levant
enfin le voile qui dérobait à la lumière naissante,
ses premières lueurs dorées et évanescentes". Le poète
devient par cet acte inaugural "l'inititié du Temps" qui rend
possible sa lecture dans la manifestation même de notre langue, le Logos.
La temporalité, le masque arboré par le Temps, peut alors tomber et ouvrir par
cette "alètheia" le don de la "destination finale", à
laquelle est voué l'Homme, à savoir : l'Eternité. Toute entreprise
humaine doit tendre vers cette découverte, la re-cherche de cette destination
finale, dont les horizons que notre pensée s'est offerte à nous proposer, font
encore office de mirages dans le désert de notre langue. La poésie a cette
mission unique et cette unique mission : faire entendre le chant des sirènes,
celles qu'Ulysse n'avait pas la force d'affronter. Car derrière l'abîme que
couvrent ces chants, la Terra incognita et promesa (notre terre
promise) nous attend patiemment.
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