mardi 28 mai 2013

"Le temps Chronos ou l'imposture du Temps".

Parce que le temps nous est compté
Parce que le temps nous est compté, nous nous sommes mis à le compter, à le comptabiliser, à en faire la mesure de tout, y compris celle qui consiste à l’ériger en valeur universelle de tout échange, jusqu'à le confondre avec le moyen d'échange le plus conventionnel (la monnaie), et ainsi de ce fait, nous avons fini par l'instrumentaliser. Ne dit-on pas « le temps, c’est de l’argent » ? Du coup, cette confusion nous a conduit à faire de l’argent non plus un moyen mais une fin, à l'instar d'Aristote qui nous avait déjà mis en garde contre cette possible dérive, et qui avait pressenti l'inversement des valeurs opéré par notre soi-disant "Progrès". De fait, la vraie nature du Temps reste maintenant ensevelie sous le voile du mercantilisme humain.
L’esprit humain s’est orienté ainsi vers une direction particulière : celle de l’analyse, de la pensée spéculative qui a engendré la science, la technique pour le bonheur et le malheur de l’Homme. Ce rapport au temps s’est inauguré dans un inconscient collectif qui par le refoulement de la peur liée à notre finitude corporelle, a élargi cette « phobie temporelle » (l’écoulement irréversible du temps vers le point final de chaque existence) à tout mode de rapport avec le Monde. Or cette modalité du temps qui a pris le règne sur les autres modalités de sa manifestation est le Chronos. Le Chronos est un concept ancien, grec, qui présente la manifestation du Temps sur le mode de la durée et de son écoulement mesuré entre différents intervalles préétablis, tel un mouvement dans un espace codifié et conventionnel que nos divers instruments de mesure (horloges, calendriers…) cherchent à  capter afin de mieux le contrôler. Mécanisme collectif de défense, cette modalité du temps est devenue l’instrument par lequel tout se mesure : de l’Economie qui prend la durée comme étalon de ses calculs et prévisions, base numérique de ses fameux taux d'intérêts, jusqu’au moindre "Projet humain" que l’on temporalise à coup d’étapes successives toutes orientées vers la butée de son processus : « sa réalisation ». Aussi, l’Homme est devenu un être en devenir de réalisation, et le seul critère d’évaluation sur lequel tous les autres s’appuient de fait, est "ce" temps sans cesse fuyant, tendu vers la fin (la mort) comme une flèche vers sa cible. Cette mutation symbolique dans laquelle le temps a d'ailleurs quitté la figure du cercle (l’éternel recommencement chez nos grecs de l'antiquité) pour prendre la figure de la flèche est évocatrice de la nature de ce mouvement par lequel s’est orientée et continue de s'orienter notre pensée. Mais vers quelle cible ce temps file ? Nul n’y répondra tant que la pensée restera immergée dans ce mouvement qui n’est en somme qu’une ligne de fuite vers un horizon non déterminé, en tant que non désiré par l’Homme. L'Homme se trouve être ainsi "désorienté". Le temps chronostique a de cette manière gangréné la pensée réflexive de l’Homme. La conscience ne pouvant plus revenir vers son point d’origine (le cogito) mais demeurant déviée par le prisme cronostique   ;  l’Homme ne coïncide plus avec lui-même, à l'instar de la pensée sartrienne. Le réajustement de la percée de la conscience et de son retour réflexif vers elle-même passe donc par une prise de conscience de ce lien ontologique faussement instauré entre l’Homme et le Temps. D’autres modalités du temps peuvent voir le jour (nous y reviendrons plus tard) et métaphormoser sa temporalité c'est-à-dire sa manifestation dans l'existence qui est la nôtre, dans le monde que nous avons construit et que nous entretenons au moyen de notre pensée. Plus encore, ce changement ontologique radical demeure le seul moyen de changer par inférence le Monde et par là-même remettre l’Homme sur le chemin de sa destinée. Le Temps demeure la clé de l'énigme, la temporalité son indice. Reste donc à l'Homme, la responsabilité et la nécessité de remonter le temps jusqu'à son origine, là où il a permis que le Temps s'émancipe et, pour reprendre la formule de Shakespeare, qu'il "sorte de ses gonds". L'Homme doit se réapproprier les dons qui jadis lui conféraient le pouvoir de retenir et de contenir le Temps, dans l'enceinte de son Être.

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