vendredi 12 février 2016

Fragment Le Resouvenir



  L'oubli présuppose que quelque chose soit enfoui sous  les décombres de nos souvenirs, comme une strate souterraine qui abriterait quelque trésor archéologique. La philosophie platonicienne et pythagoricienne traquaient par le jeu de la réminiscence ce qui devait être restauré par le souvenir, de même que la psychanalyse n'a eu de cesse que de suivre les traces mnésiques présentes dans l'inconscient . Que cache le premier souvenir "refoulé", effacé sous la poussière déposée par le temps, que nous dit la première empreinte, plus encore, la première inscription qui  marqua de son fer rouge notre inconscient pour ensuite se dérober à notre vue ?




Il reste de ce premier moment fondateur, inaugural, le 'sceau' qui marqua la matière animée pour signifier son origine et son auteur. Et ce sceau se manifeste encore à nous par l'écho d'une voix qui parcoure les profondeurs de notre inconscient pour resurgir à la surface de notre conscience.


Cette Voix est l'écho d'autres voix, puisque les voix se relayent toutes entre elles pour ne former qu'une seule et même voix, synthèse de toutes les autres, qui au moment opportun possède son porte-voix pour nous parler de notre 'devenir'. Elle est la voix de notre conscience qui nous parle sous la forme de la dialectique interne. Cette voix nous conte notre propre histoire, celle qui est liée, intriquée aux autres, qui ont déposé sur notre 'chair invisible' leurs empreintes. Cependant, nous ne sommes pas réductibles à la somme de leurs traces, contrairement à ce que pouvait en dire Henri Laborit.


 Notre propre voix a quelque chose à voir avec 'l'appel de la conscience' heideggérien ou la 'pulsion invocante' lacanienne. C'est qu'elle nous parle en direction de son origine, là où une première voix s'est élevée dans le silence de l'attente. L'attente qui est celle de découvrir le monde à venir dans lequel notre existence va se déposer pour se révéler à elle-même, c'est-à-dire rendre visible l'Invisible. Notre histoire cherche à se déployer depuis son origine la plus reculée et qui précède le champ de notre inconscient. Car l'inconscient est déjà tout orienté vers le monde et fait en ce sens partie ou co-appartient au même champ qui est celui de l'ontique. Si pour la psychanalyse il y a 'coupure radicale' entre l'inconscient et le conscient, je dirais qu'il y a une limite entre ces deux instances qui ne fait pas séparation, puisqu'elles collaborent ensemble (par les deux principes qui les animent, principes de plaisir et de réalité) à 'exister' au monde. Mais l'inconscient, à la différence du conscient, devient au sens philosophique et métaphysique un concept limite entre ontologique et ontique, de même que pour Freud il représentait déjà sur le plan ontique, un concept limite entre somatique et psychique.


   L'ontologique, porte en lui les conditions par lesquels l'inconscient est le réservoir de multiples potentialités virtuelles qui pourront trouver effectivité dans le champ ontique, celui auquel correspond  notre 'réalité', la réalité  partagée par la communauté des hommes (celle qui relève de la science). Mais cette somme des possibles dans sa possible conversion en effectivités, a été contrariée par une première inscription qui déposa sa marque hostile, opposante, à l'encontre de son déploiement. Cette première inscription est la voix de la mère qui après avoir porter soin à la détresse du nourrisson lui annonce à un âge encore précoce, que sa condition est celle d'un être mortel comme tous ceux qu'il rencontrera pour nouer une relation. Au même titre qu'elle lui donna la vie, ou du moins l'existence à ce monde, elle le quittera en quittant ce même monde. En lui donnant la vie elle lui lègue la mort. 'La bouche qui embrasse n'est pas celle qui nous parle'.  Sa voix est donc le refoulement originaire sur lequel les refoulements secondaires s'appuieront. Notre finitude est donc inscrite au plus profond de notre chair, par le dépôt inaugural d'une Voix qui nous ouvre à une existence refermée sur elle-même, ayant pour horizon ou arrière-plan une 'fin', une butée. De cet acte inaugural, le temps ekstatique sera la réponse que notre inconscient trouvera pour collaborer avec le conscient, car si la psychanalyse accorde à l'inconscient certaines modalités (l'ignorance du temps, de la négation ou de la morale), elle passe un peu trop sous silence la formation du temps auquel il participe, et qui prend acte déjà dans la présence-absence qui symbolise la séparation temporaire d'avec la mère (le jeu de Fort-Da). Mais ce jeu inaugural, le Fort-Da, est le signe annonciateur, la prémisse, d'une angoisse de séparation bien plus intense qui pendra effet lors de notre 'renoncement' à nos possibles suite à la parole maternelle qui incarne pour nous la 'seule' Vérité. Une Vérité qui nous castre de notre possible immortalité. Déposée dans la virginité de notre chair, elle ne demande aucune validation puisque le première fois que le mot'mortel' sera lâché  telle la première lettre qui inaugure et boucle l'alphabet, la chaîne des combinaisons 'signifiantes'  en sera elle aussi bouclée. Le trou du réel y sera fixé comme si le roc de la matière  (la chose) avait été sculpté par la première parole laissant son inscription tout en  prélévant sur lui une partie qui nous sera sacrifiée : notre immortalité.

Or cette finitude promise ne pourra jamais être vérifiée puisque nous ne pouvons vivre notre propre mort. La Vérité devient alors invisible à ceux qui l'ont écouté. Voilà le refoulement originaire qui repose sur une faille, une béance abyssale puisque ce qui est dit Vrai ne peut être vécu par le destinataire de la parole qui le porte. De ce fait, la vérité devient privation au sens où ce qui aurait pu nous être promis (l'éternité) nous est non seulement ôté,  à partir de son inscription qui génère du reste l'ensemble de  nos croyances, mais à jamais mis hors de portée de notre savoir puisqu'impossible à le vérifier par soi et pour soi. Nous sommes privés de toute expérimentation de notre arrachement à l'Existence. La parole de vérité clôt derrière nous notre existence avant même qu'elle puisse se refermer.
La Vérité est donc de l'ordre de l'Imaginaire, et remet notre existence entre ses mains. C'est donc dans et depuis l'Imaginaire que nous trouverons les clés pour s'en dé-faire : la philosophie comme la psychanalyse cherchant à nous défaire de 'certaines' intrications. La Vérité est donc à ré-écrire.
 Ce qui nous est donc retiré par la parole nous ôte la possibilité d'en expérimenter  la fin. La fin ne pourra jamais devenir effective et restera 'en suspens' de notre existence, telle une épée Damoclès dont la chute ne sera que l' Hypothèse faite de notre vivant.  La Vérité repose désormais sur une hypothèse, une promesse qui tient à la 'disparition' des corps vivants qui nous entourent et qui précède la nôtre, dans un cortège vivant qui s'est soumis à une parole fondatrice. Le visible est alors érigé en savoir tout-puissant reléguant l'Invisible au statut de l'imaginaire.
Que se serait-il  passé si  la première parole n'avait pas proclamé cette fin annoncée telle une 'prophétie qui se réalise' et qui induit notre existence pour lui rester fidèle ? Or, l'inscription nous l'avons vu avec Freud, inaugure la compulsion de répétition qui anime du dedans notre inconscient. Ainsi   l'alliance que notre inconscient a nouer par amour et fidélité avec la Voix maternelle mortifère, inaugure et promulgue le règne de la pulsion de mort qui lui restera attacher. A moins que la pulsion de Vie puisse à défaut d'avoir prononcé le premier mot, avoir le dernier mot.


   Le retour peut s'opérer à partir du temps ekstatique, chronostique (Chronos), qu'il faut remonter à sa source pour interroger les autres temps (Aïon, et Kairos) dont il émane et dont il répond. Cette interrogation ontico-ontologique aura des répercussions sur une refonte possible du nœud borroméen lacanien et des 'instances'  qui le constituent.













mercredi 3 février 2016

Fragment Les Triades du REEL

Les triades du Réel composent la structure par laquelle l'Être se révèle à nous dans sa manifestation ontique et qui suit le mouvement indiqué par ses multiples déclinaisons.  Leur conjonction est triadique et peut se lire comme une figure géométrique identique au triangle isocèle (le triangle d'Or). Ces formes dans leur triangulation peuvent s'appréhender à la lumière des concepts métaphysiques (ontologiques) et psychanalytiques (ontiques). Le logos étant une manifestation de l'Être, la langue qui lui est assignée, mérite d'être entendu du point de vue de la psychanalyse qui a le mérite d'interroger le sens dont le langage est porteur, même si en apparence, la  possibilité d'un métalangage lui reste voilée. Pourtant Lacan a su sans le vouloir ou peut-être en le suggérant implicitement, ouvrir la psychanalyse à une ontologie, si bien que les terminologies conceptuelles qu'il utilise sont les  traces de ses amitiés personnelles ou de pensées avec Heidegger, Merleau-Ponty les mystiques du 17ème siècle voire Plotin qu'il passe sous silence mais qui resurgit de plus belle à travers le goût qu'il porte à son hénologie.



La première triade s'annonce comme telle : l'Un- Le Multiple- le Devenir.
La seconde : L'Être- Le logos- Le parlêtre
La troisième : Le Manque à être - Le Désir - L'objet a.

Une quatrième triade vient s'ajouter à ce modèle épistémique en venant circonscrire ou enclore les deux dernières triades sous la forme du Temps qui donne mouvement à chaque forme ontologique et ontique. Le Temps (en tant que dynamique qui se double au mouvement initial de l'être) est le déploiement de chaque forme dans une temporalité qui lui est propre et singulière, et qui ouvre un espace donné en le remplissant de sa tonalité.


Cette quatrième triade est composée des 3 temps grecs : Kairos - Aïon - Chronos.


Ce modèle donne à penser comment l'Être parvient jusqu'à nous, dans ses manifestations ontiques, au travers du temps et de notre langage qui s'unissent autour d'une tonalité primordiale et féconde en émotions et par suite, en pensées.


L'émotion (stimmung) gouverne notre langue dans la mesure où c'est elle qui a fondé notre aptitude à utiliser le discours, à l'instar de Rousseau qui pensait que les gestes suffisaient pour que l'Homme  réponde à ses besoins, tandis que l'origine des langues tenait dans la nécessité et la difficulté pour lui, d'échanger des sentiments avec son semblable.


La langue qui unit l'homme à l'ÊTRE (L'alliance) ne séjourne auprès de lui que par l'ambiance émotionnelle qu'il peut lui accorder, s'accordant à elle pour s'ouvrir le monde et  faire qu'elle  se déploie dans sa propre phénoménalité, son mode d'apparaître. Cela dit, la langue qui revient à sa source, l'Être, lui conte le monde que l'Homme lui a ouvert, ce qui fait que la coappartenance de l'homme et de sa langue fonde le Logos Héraclitéen : le devenir 'dans' l'Être. C'est pour cela que l'Emotion primordiale (ontologique, orientée vers l'Être et tournant le dos au monde)  de l'Homme (celle que l'Être lui a léguée) est aussi importante que l'émotion ontique, qui crée et compose sa relation au monde qui l'anime en retour. Cette ekstase faisant éclore l'être de l'étant qu'est le Dasein, lui permet de 'colorer' la Langue qui en faisant-retour vers sa source,  modifiera leur destinée. Le poète doit pouvoir capter cette Emotio-émotion (ontico-ontologique) pour l'identifier et la faire chanter de telle manière qu'elle soit rendue à son 'authenticité', à savoir celle qui a constitué, constitue et constituera toujours le destin de l'homme qui s'écrit à chaque instant.
                                            "L'Homme est un poème que l'Être a commencé". Heidegger.

La dynamique ontologique de l'ÊTRE produit un excès engendrant un débordement par lequel il se déplace comme une vague sur  différents plans ontiques. Il en résulte une tension qui naît de la rencontre hétérogène entre l'Être et la matière qui résiste à l'événement : celui d'être animée par sa force. L'Être, une fois rencontrée et territorialisée cette matière, fait-retour telle la vague qui achève sa course amorçant déjà le ressac de la mer qui l'a portée. Ce mouvement retour déjà amorcé et réamorceé par la  vague suivante, est le manque en tant que 'ce qui afflue et porte en lui' ce qui doit non seulement disparaitre mais repartir du lieu qui l'a secouru 'le temps' de refluer vers son lieu d'origine. En ce sens, le désir ne provient pas uniquement du manque mais d'abord de l'excès qui retenu en lui (rétention) se libère, provoquant une phase de tension puis de retrait, retrait créant en dernière instance le manque.  Ce mouvement incessant de l'Être résonne partout où le monde a été visité par son passage, tandis que ses traces sont encore audibles et visibles pour celui qui est sensible à leur présence-absence.




Le poète cherche dans l' ouïr à capter les vibrations des mots qui doivent s'agencer de telle sorte que leur résonnance entre avec celle de l'être. Dans un jeu de miroir inversé, les mots du poète sont chantés, tandis que le sens qu'ils produisent en nous (la réponse provenant de l'être), fait retour  pour convoquer notre destin en vue de s'annoncer à nous-mêmes. L'appel est donc rappel, et le désir appelant, une demande qui exige d'être exaucée car l'appelant et le destinataire s'articulent dans cette rencontre énigmatique où le maître mot est : la réconciliation.


Différer son advenue (notre destin), pis encore, la dénier, plonge l'homme dans une existence privée de Vie. Les symptômes en tous genres, parlent de cette privation dont l'homme captivé par le monde phénoménal (aliéné au monde des objets) est responsable.  Cependant, tout refoulement fait aussi retour et de plus belle, et l'oubli de l'être fait aussi retour dans le chant poétique. Le poète veille cependant à ce qu'une certaine limite ne soit pas franchie par l'égarement de l'homme dans l'éloignement de sa patrie. Il veille à ce que 'l'oubli de l'oubli de l'être' ne soit pas accompli dans l'être de l'étant, du Dasein



La voix peut emporter loin nos rêves,
Elle peut même les faire s'évanouir dans le parfum de l'attente,
Mais elle ne peut jamais nous mentir quand elle fait trembler la Langue
De sa mélodie sourde et grondante,
Appelant le vide à se soumettre à sa propre Loi.
Car le destin est alors affranchi de toute retenue,
Et la promesse tenue.















Fragment : Le refoulement ontologique originaire





   La seule et unique question que doit se poser la philosophie qui interroge l'Être et sa présence dans son dévoilement et son retrait dans le monde, est celle de ce refoulement originaire ontologique qui refait surface sans cesse dans le "symptôme" qui est notre existence. L'existence ne peut être que le symptôme de la Vie, la coagulation du flux incessant héraclitéen qui fonde le devenir, devenir qui provient de la tension occasionnée par l'écart entre l'Un et le Multiple. Si la Vie provient du magnétisme que les polarités opposées (l'Un et le Multiple) produisent, l'existence est son ralentissement, voire son arrêt momentané. Car "nous naissons ici pour renaître ailleurs".


Le refoulement existential (ontologique) est donc à comprendre comme la source du questionnement, du "désir de la pensée" pour reprendre la formule de Blanchot. Il est intimement lié à la recherche de l'origine qui elle même est intriquée à celle de la recherche de l'objet perdu dans la sphère ontique. Ainsi la mélancolie est le versus ontique de "l'Amélancolie" qui détourne son regard du monde pour cerner l'horizon et la possibilité d'une forme qui dessinerait les contours d'un lieu qui ferait signe vers la patrie d'origine du dasein. Or, nous le savons, l'horizon se dérobe à la saisie de notre regard, s'éloigne à chaque pas que nous faisons vers lui, parce qu'il ne contient aucun objet que nous pourrions capturer par l'entremise de nos sens. Il nous laisse face à un arrière-plan qui absorbe tout objet et objection, nous laissant rêveur, plus encore que le ciel étoilé. Dans l'absence qu'il nous présente, l'horizon est cette droite courbée qui se perd entre deux bleus. Il nous donne à voir dans la symbolique de la couleur et dans la mi- découpe de deux plans (la mer ou l'océan à perte du vue) et le ciel sans limite, deux plans symétriques qui ne se replient que "là" où le regard peut fixer sa propre limite.



L'émotion qui s'en dégage et celle qui procède du retrait de l'Être qui se dérobe tout en se dévoilant,(aléthéia heideggérienne) laissant une trace  infime et subtile à la fois. La limite ne peut faire séparation et la courbe médiane divisant les deux plans (les eaux et le ciel) fait figure de "trait unaire" lacanien qui relie une alliance ontologique figurée par le RSI. L'imaginaire se fond dans le ciel où notre pensée se perd dans les labyrinthes des possibles (imaginant et imageant toutes les fictions possibles quant à ce monde caché qui abrite les dieux), le Symbolique est le support (les eaux) qui permet au ciel et à ligne de démarcation d'émerger de la surface plane, de son substrat (le langage est le sur ce quoi repose l'image et l'au-delà de l'image), enfin le Réel est incarné par le pur regard dépouillé d'objets  à capturer, qui doit déposer les armes pour s'évanouir dans le Bleu attractif et absorbant de l'Horizon. Le Bleu qui calme, pacifie le regard et la pensée, clôt  le langage sur lui-même, rend aussi muet l'homme qui découvre que son questionnement se résorbe dans l'immensité. Doit-il comprendre que les réponses sont hors de sa portée, qu'il doit renoncer à interroger le ciel et se tourner vers le monde phénoménal pour se contenter de ses réponses ?


Qu'elle est mon origine, d'où viens-je ? D'un point de vue ontique (et la psychanalyse ne l'a que trop bien compris), je viens de ma mère. D'ailleurs seule elle le sait, le père n'étant que le père réel supposé. Elle est donc à la fois "supposé savoir" et "non savoir supposé". Elle est la vérité. Quant à savoir d'où provient ma propre mère, cela se complique car elle-même est suspendue au "bon savoir" de sa propre mère,... et ainsi de suite. Finalement la régression à l'infini avait déjà posé un problème à la philosophie (depuis Aristote et jusqu'à Kant)  et dans ce qui nous intéresse, on voit déjà les limites de notre recherche quant à notre origine biologique, transgérationnelle.  Nous la subissons comme un symptôme qui est la résonnance d'une chaine longue et presque infinie peuplée de nos ancêtres qui perpétuent la même soif de questionner leur origine. Le mythe d'Adam et Eve se propose de nous répondre quelque chose à  ce sujet, mais il ne répond que partiellement à notre désir de savoir qui ne se limite aucunement à notre naissance humaine. Notre désir semble provenir de l'inscription que L'ÊTRE a déposé dans notre inconscient collectif dont la racine est notre origine ontologique. De quels dieux sommes-nous les fils ?  L'absence ou l'attente de réponse crée cette présence-absence ontologique, provoquant cette émotion amélancolique  issue du refoulement originaire ontologique qui creuse une faille dans le Réel à partir de laquelle nous pouvons ressentir et entrevoir notre "Abandon" qui précède tout sentiment ou toute expérience de "séparation".


Notons au passage que cette émotion primordiale précède toute angoisse ou affect qui serait lié à la conscience de notre finitude en tant qu'homme mortel. L'abandon est donc réel même s'il porte en lui les traces et les stigmates de la présence de l'être, celles qui font sens dans les effets qu'elles produisent dans notre langage, vestige vivant du logos. C'est l'inscription qui devient visible puis lisible et dicible autour du cheminement que le poète fera pour chanter le cri des mots qui appelle l'absence contenue dans cette figure de l'être qu'est l'Abandon, et qui reconnaît en appelant et déchirant le silence du ciel, le passage des dieux sur notre terre. Si le cri camusien demeure sans réponse, le poète lui se rive à l'être (pour faire écho à une expression chère à Levinas) et ne laisse jamais l'espace d'une ombre qui pourrait obscurcir la lumière par laquelle le jeu des formes danse dans ce rituel magique qu'est la Vie. La danse de la vie est le mouvement même qui rassemble les traces des dieux qui ont séjourné sur terre. Capter ce mouvement et cette rythmique, c'est donner du souffle à la voix pour qu'elle porte les mots, les aspirent, et les secouent de manière à faire trembler le langage afin que le logos fasse irruption par bribes. C'est ainsi que ces bribes constituent les fragments du Réel par lesquelles il se morcelle et se décompose pour nous conter sa provenance et sa teneur. Les effets de sens qui se produisent pour le sujet qui entend la poésie (et sa poésie pour l'analysant dans la sphère ontique et dans le cadre de la cure psychanalytique) le réconcilie avec l'Abandon sur lequel s'est déposé un (son) déni ontologique pour faire taire le refoulement originaire ontologique dont le symptôme est en premier lieu "l'oubli de l'ÊTRE". (si décrié par Heidegger).