dimanche 10 avril 2016

Le colibri et la Montgolfière



La taille du colibri ne pouvait pas rivaliser avec celle de la Montgolfière.
Et très vite, le petit oiseau-mouche se mit à envier ce mastodonte des airs qui d'ailleurs ne se retrouvait jamais seul, puisqu'il emportait  toujours avec lui quelques personnes dans son voyage. Le petit oiseau n’avait d’ailleurs jamais vu la montgolfière quitter son sol toute seule, sans la présence de ses invités.
 








Le colibri, petit et solitaire, rêvait donc devenir une montgolfière, non pas un autre oiseau qui aurait pu mériter l'admiration, comme l'aigle royal, l'hirondelle ou le faucon, mais bien une montgolfière. Elle, avec sa hauteur qui lui donnait du prestige, sa grosse tête ronde qui lui donnait l'allure d'une reine, et sa nacelle qui emportait avec elle ses plus beaux admirateurs pour les faire voyager dans le ciel, il n'avait pas eu l'ombre d'un doute : c'est à elle qu'il aurait voulu   ressembler.
Bien sûr, un oiseau ne pouvait pas se changer en une pareille majesté des airs, et le colibri le savait bien. Mais il voulait à tout prix tenter sa chance auprès d'une magicienne, car son rêve ne parvenait plus à masquer la tristesse de la réalité.
 

  Il avait entendu parler de cette magicienne qui avait l'art des incantations et des potions magiques. Elle était parvenue soit disant à transformer des moineaux en tourterelles, des pigeons en albatros ou des pies en flamants roses, c'est vous dire l'envergure de son art et de son pouvoir à manier comme personne, la métamorphose des désirs en réalités. Mais de là à transformer un oiseau en montgolfière, il ne fallait quand même pas  exagérer !


 En même temps, le colibri comptait bien sur l'orgueil et la vanité que toute personne puissante cultivait en elle dans le plus grand secret, et la magicienne ne devait pas échapper à cette règle. Il lui suffirait donc de la provoquer voire de la défier de la sorte : - "Toi la grande magicienne, toi la belle et grande Corneille, ne me dis pas que tu es incapable de me changer en montgolfière".
C'est ainsi que le colibri se rendit chez la magicienne, mais ne possédant aucun cadeau pour s'acquitter de ses précieux services, il se dit qu'une fois exaucé son rêve, il pourrait toujours vanter son talent partout où il irait, faisant de la magicienne la plus grande des fées. Voilà ce qui encouragerait sans nul doute  la Corneille à l'écouter.

  La Corneille en effet, n'en cru pas ses oreilles, d’entendre ce minuscule oiseau lui demander l'impossible en jouant sur ses prétendus vices et ses dons cachés. Mais piquée au jeu de ce polisson qui réclamait l'insolite et la défiait, elle exauça son vœu et le transforma en ce qu'il avait souhaité.

Car la magicienne était vraiment magicienne, et son talent dépassait vraiment l'impensable, surtout quand le désir de son invité était très sincère. Même si ce qu'il souhaitait n'était pas toujours profitable pour lui. En tous cas, s'il le voulait intensément, la moitié du travail était déjà fait.
 



En un coup de baguette  magique, le petit colibri fût donc transporté au beau milieu du champ où il venait habituellement contempler la montgolfière, celle qu’il admirait depuis si longtemps. Mais il ne vit rien autour de lui, puisque du haut maintenant de ses quinze mètres, il toisait maintenant ce bas monde. Cependant, il ne pouvait rien faire face aux quelques badauds qui entraient sans sa permission dans sa maison devenue nacelle, pour toucher ses membres qui s'étaient tous transformés en commandes de vol. Impossible de pousser un cri, impossible de bouger, le colibri devenu montgolfière était d'un seul coup soumis à leur bon vouloir. S'il fallait décoller pour voler, c'était à eux d'en décider, quant à la destination ou à la durée du trajet, c'est eux qui choisiraient. Il ressentit alors comme des larmes lui monter au bord des yeux, mais ce n'était que la chaleur du gaz qui venait gonfler sa tête transformée en ballon,  annonçant l'imminence de son décollage. Il était devenu un parfait automate géant, à la merci de fourmis humaines qui l'utiliseraient comme un vulgaire pantin aérien. Ce n'était pas lui qu'on regarderait mais les paysages vus d'en haut. Ce n'est pas lui que l'on remercierait pour la beauté du voyage, mais le pilote qui aurait su manier ses membres de toiles et de cordages.

 Mais le colibri devenu montgolfière, aperçut à sa plus grande stupéfaction, avant de quitter le sol et de s'élever dans le ciel, un petit oiseau noir au bec long et frétillant. Ce petit oiseau qui  sautait de joie en permanence, était suspendu à un fil invisible qui lui donnait l'air de voler en faisant du surplace, comme si l’espace se mesurant au temps,  permettait à ce virtuose du ciel, de savourer sur terre l'instant et l'endroit qu'il s'était choisis.  C'était donc lui, ce petit oiseau-mouche,  qui décidait de son lieu, même si son aspect chétif lui donnait l'air d'être fragile autant que paniqué. C’est en regardant ce tableau insolite, que l’oiseau transformé en Montgolfière comprit d'un seul coup, que la magicienne avait permuté  leurs places, que l'oiseau libre et léger qu'il regardait, c'était lui, avant qu'il ne devienne une montgolfière, une Reine des airs transformée en machine, sans le moindre battement d’ailes ni le moindre soupçon de battements de cœur.


Epilogue



Le sol se déroba sous ses pattes transformées en  plancher, et l'oiseau devenu montgolfière s'éleva tant bien que mal en titubant, cherchant péniblement l'appui d'un vent favorable. C'est un peu comme s'il avait été shooté à l'hélium ou à l'excès de métamorphose. Il avait l'impression d'être comme l'albatros de Baudelaire qui ne parvenait plus à quitter le sol tant ses ailes étaient trop grandes.



Pas un seul regard ne se posa sur lui, ni un seul geste de réconfort ou d'encouragement ne fût consenti à son égard, si ce n'est l'attention inattendue du colibri qui l'accompagnait maintenant dans son périple solitaire. Le colibri aussi petit fût-il, semblait volait bien mieux en altitude qu’auprès du sol, s'amusant à faire des piquer et des loopings comme pour épater la galerie. L'oiseau-montgolfière au contraire, lui, s’acharnait tant bien que mal à braver les vents et les lois de l’apesanteur, lui qui s'était empâté dans un costume de clown trop grand et bien trop lourd pour lui. D’ailleurs, ce voyage lui sembla être le plus long de sa vie, et il eut pour la première fois, contre toute attente,  le mal de l'air.


A peine reposés sur la terre ferme, que ses passagers invités de force, l'abandonnèrent, en emportant de lui deux ou trois photos volées de lui, comme trophée de voyage. Attendrait-il le prochain voyage qu'il redoutait déjà comme une torture ? Valait-il mieux se contenter de cette longue attente, où cloué au sol, il contemplerait les autres oiseaux  s’envolaient vers leur liberté ?

Le petit-oiseau, son compagnon-voyageur de tout à l’heure, s'était posé maintenant à quelques battements d'ailes de lui tandis que lu, l’oiseau-montgolfière, se mettait tout à coup à regretter son acte, celui qui l’avait conduit à la magicienne. Il désira redevenir le colibri libre, léger et imprévisible comme le vent, celui qu'il avait toujours été. Mais le sort était lancé et rien ne pouvait jamais plus redevenir comme avant.



Pourtant dans le silence pesant de sa tristesse, un cri soudain et strident déchira le ciel et la toile de sa belle et grande voilure. Un cri phénoménal sortit du bec du petit colibri, le petit oiseau qui l’avait accompagné dans la solitude d’un vol désespéré. Ce petit oiseau qui après voir déchiré le ciel de son cri, commença à   changer de forme sous ses yeux ébahis,  à grossir, puis comme par enchantement, à se transformer en une merveilleuse et brillante corneille noire.


La magicienne venait donc de réapparaitre à travers le colibri,  brisant le sort qu'elle avait jeté. D'un cri perçant la poitrine de la montgolfière, elle libéra l'oiseau qui s’était emprisonné dedans.


L'oiseau reprit donc par magie, sa forme de colibri, échappant du même coup à la montgolfière et à sa triste destinée. Le colibri remercia de tout son cœur et de toute son âme de petit d’oiseau la Corneille, pour la leçon que son sort lui fît apprendre. Comme quoi, la place de l'autre n'était pas toujours si enviable que ça, de même que n'était pas le plus sage, celui qui croyait l'être.

La corneille lui demanda cependant en guise de remerciement, de lui faire une promesse, une promesse  que bien évidemment l'oiseau-montgolfière redevenu colibri, accepta et tiendrait.


 
                                                                       

- "Je n'attends pas de toi, petit colibri que tu me sois redevable ou que tu me fasses de la publicité. Mais je veux en revanche que tu t'engages, quel que soit les pays vers lequel tes ailes te porteront, à parler de ce petit oiseau qui avait confondu la grandeur et l’apparence, ce qui attire l'œil, de ce qui l'empêche de voir vraiment. Tu parleras de ce petit oiseau qui s'est cru misérable alors qu'il était le plus chanceux, de ce petit oiseau qui rêvait de ressembler aux autres parce qu'il n'avait jamais pris le temps de se regarder pour se découvrir. Pour s’apprécier et pour s’accepter. Oui promets- moi de témoigner de ce petit oiseau solitaire qui se sentit si seul et si mal aimé, que pour échapper au froid de sa solitude, il voulut pour se réfugier dans le ciel le plus haut, échanger ses ailes contre un vulgaire manteau ».

Philippe David Belardi,  Le colibri et la MontgolfièreContes pour petits et grands enfants, 2016.