jeudi 28 janvier 2016

Fragment l'Homo emotionnal





   L'Homme est avant tout émotionnal, au sens ontologique du terme puisque sa structure fondamentale l'assigne à être au monde dans un rapport émotionnel. Cette formule est à rapprocher des existentiaux qu'Heidegger a formulés pour désigner la structure ontologique du Dasein. L'article "coupure, espace et temps" introduit en partie ce thème qui aborde le destin pulsionnal de l'Homme qui entre en rapport avec une extériorité depuis le lieu de son intériorité.


Sa corporéité est fondamentalement assignée à l'Emotion qui l'anime et qui lui ouvre le Monde grâce à une temporalité dont le substrat est une émotion : une tonalité affective. En ce sens, la tonalité affective projette le sujet dans un monde assujetti à l'extase émotionnelle. De même, le retour qui suit cette projection modifie la tonalité affective pour recomposer le monde, et ainsi de suite... Ainsi, cette chaîne de projections émotionnelles et de "retours" que ces projections  font subir au sujet éprouvant, soutiennent sa relation objectale en la recomposant à chaque instant. Si les émotions peuvent varier, nous avons soutenu la thèse qu'une émotion primordiale doit présider à toutes celles qui en seraient les déclinaisons. Car chaque déclinaison émotionnelle sert certes à adapter le sujet au monde mais aussi à modifier le monde en vue de faire é-prouver le sujet, c'est-à-dire le conduire à faire l'épreuve et donner la preuve de son appartenance à une émotion qui le constitue dans son entièreté. La difficulté est de toucher du doigt cette tonalité fondamentale à partir de laquelle nous pouvons entrevoir celle qui au Commencement a animé la matière inerte, l'homme encore privé du souffle de vie, avant qu'il n'entre en contact avec son corps-matière.


Nous avions fait la distinction entre l'animal et l'homme dans le type de temporalité qui les conditionne, de même que les différentes émotions qui leur sont dédiées. Nous avions évoqué le fait que l'aliénation de l'homme à son semblable, puis au langage mondain, l'a conduit à faire dériver son émotion primordiale (que nous n'avons pas encore annoncée pour l'instant) en  joie, tristesse, fierté, dégoût, mélancolie ou ennui tandis que l'animal oscillait entre la colère et le calme.
Une manière de rechercher l'émotion originaire est de questionner le rapport de l'homme au temps et plus précisément à la source du temps. L'idée serait que le temps puisse faire-retour sans que l'émotion lui soit associée, afin qu'il soit mise à nu, rendu transparent à notre vue, et que cela nous donne un premier aperçu de la première émotion qui aurait pu s'y déposer pour sceller une alliance inaltérable avec lui. Car nous devons avancer en axiome, ou hypothèse de recherche, à ce stade de notre enquête, que le temps est un être en devenir ou plus exactement l'être en devenir qui s'appuie sur l'homme pour réaliser ses projets.
D'autre part, nous avons avancé que le temps se décompose en phases de discontinuité et de continuité, dont l'intervalle est une coupure, un passage abyssal,  pour affirmer que celui-ci n'est autre que l'Homme.
Nous retrouvons cette configuration temporelle dans la structure psychique et somatique de l'homme pour qui l'inconscient figure la continuité et le conscient la discontinuité. C'est la raison pour laquelle la coupure entre l'inconscient et le conscient est radicale pour Freud comme pour Lacan. L'analyse se heurte en effet à cette différente de modalité temporelle qui est amplifiée par le mur du langage qui créé une distorsion entre ces deux mondes où le temps agit différemment. Si l'homme est un passage entre deux régions  de l'Être, de même par analogie, le lieu qui se situerait entre l'inconscient et le conscient (dans une topique épurée du moi, du ça ou du surmoi pour rendre plus compréhensible notre approche) est le lieu du Désir ontologique. Lieu qui se situerait au carrefour des vents par lesquels le logos souffle et oriente les devenirs possibles des mondes à venir. Car la continuité du temps (Aïon) qui souffle dans l'Inconscient (ontologique) est l'ensemble des virtualités et possibles qui cherchent à se réaliser en vertu des possibilités de l'homme qui œuvre à modifier son monde. Le vent qui souffle dans le conscient  (ontologique) sous le mode temporal de la discontinuité, est la matière qui résiste à l'émergence de virtualités et qui les détournent (plus qu'elle ne les retournent) de leur visée. L'homme est donc le lieu de ces échanges ontologiques où la Vie et la matière peuvent se réunir dans des noces passagères et mouvementées. L'homme est bien ce "toujours-possible évènement à venir" et ne peut que contenir ou retenir ce flux ontologique pour éprouver la matière qui le repousse tout en l'attirant. En ce sens, l'Homme n'est que le jeu voire le jouet de forces qui le dépassent, le traversent (à l'instar de Schopenhauer...), mais les traces qu'elles inscrit dans son corps ou sa chair invisible, présagent d'un destin qui lui est aussi promis.

Pour le dire autrement, il s'agit de pulsion ontologique et c'est pourquoi le rapprochement entre la philosophie (métaphysique et métapoïetique) et la psychanalyse nous éclaire un peu mieux sur l'homme prisonnier d'une structure ontico-ontologique où le temps, l'espace et l'émotion vont constituer la triade  et le canevas autour desquels l'ÊTRE dans son unité, sa multiplicité et son devenir, va coudre de sa main habile et invisible, le patron, le modèle, le pattern de sa destinée.















dimanche 24 janvier 2016

Coupure, espace et temps... : le refoulement originaire.



  
   L'espace n'est que la projection de notre temps-émotion.


     Le temps est intimement intriqué avec notre émotion, et l'on peut dire que le temps commence, évolue dans ses multiples variations, qu'en se mêlant à l'émotion que le sujet humain déploie depuis son corps vers un point d'horizon autour duquel un espace peut se dessiner.


L'animal ne connait que ses besoins (instinctifs, de survie et de reproduction), et sa vie qui s'énonce autour du Besoin vital n'engendre que deux émotions primaires : la colère (pour mobiliser ses ressources et répondre à la menace) et le calme vers lequel il tend et dans lequel il se repose dès que sa survie est assurée. Ses rapports charnels ne sont pas si éloignés de la colère qu'il déploie à l'encontre de ses agresseurs. D'ailleurs le "ne pas se reproduire" équivaut à mettre, pour de nombreuses raisons, sa vie en péril. Ainsi, il n' y a pas d'espace pour l'animal parce qu'il n'y a pas de temps pour lui à proprement parler. Son espace est plutôt un territoire à trois dimensions, la quatrième (temporelle) lui manque. La colère ou le calme le prive d'anticipation, de regret ou de tristesse, l'enfermant dans un présent continu, une durée sans interruption, puisque le corps domine tout écoulement de ses pulsions sans différer ses satisfactions. Le corps est le présent continu, le substrat de toute temporalité, l'Aïon, "le principe de continuité".

L'Homme, lui qui tisse un lien avec autrui dont il dépend complètement dès sa prime et jeune enfance, connait le diktat de l'autre auquel se soumettre s'il veut survivre. Sa dépendance pour satisfaire ses besoins le conduira à se soumettre au règne du discours et des règles conventionnelles, convertissant son besoin en demande, demande qui subira  l'alternance de la sanction ou de la récompense de la part d'autrui. L'Emotion elle aussi, connaitra un premier clivage pour faire émerger après la colère et le  calme présidés par le "soma animal", la joie et la tristesse indexées à la réponse que pourra apporter  "l'autre" à nos demandes. L'ennui ou la mélancolie ou bien le dégoût ne seront que des déclinaisons de la tristesse de la même manière que toute joie sera liée au sentiment de fierté, celle qui naît de recevoir d'autrui la validation de notre demande.
Le temps est alors dévoyé de son présent continu, extrait de notre intériorité telle l'extase heideggérienne pour quitter l'Aïon et pour se fractionner dans la discontinuité du Chronos. L'expérience de la séparation ou de l'ambivalence inaugure  le morcellement temporel dans l'apparition de sa triade fragmentaire du temps mondain, à savoir du passé, du présent et du futur. L'Homme devient le "fauve de l'anticipation" et fait l'expérience du refoulement originaire : la conscience de sa finitude qui lui ouvre l'horizon du monde, sur le mode de sa mort à venir. Le règne de la discontinuité est la "projection émotio-temporelle" qui le sépare de son corps et qui devient annexé au monde des objets (dont l'autre fait aussi partie). C'est parce que l'Homme s'identifie aux objets et à ses semblables qu'il crée un rapport temporel sur le mode du temps et ekstatique.  Il en vient à considérer la mort de ses semblables et la perte de ses objets à sa fin personnelle alors que jamais il ne pourra vivre sa propre mort. Ce temps factice et construit autour de la relation objectale inscrit l'homme dans un dessein qui le soumet à un certain type d'émotions, de temps et d'espace. C'est ici que "l'aliénation" agit bien avant l'éruption du langage par lequel celle-ci connaîtra son acmé.


Le troisième terme qui unit les deux autres (Aïon et Chronos) est le Kairos qui est la coupure qui sépare la continuité de la discontinuité. Le destin de l'Homme est l'avènement du Kairos, puisqu'il est le passage ou l'articulation du temps qui ouvre l'espace à l'intérieur duquel sa force peut se mouvoir, créer et le desaliéner. Aussi, si le temps crée l'espace, l'émotion primordiale kairique a son mot à dire. Du point de vue du créé, de l'Homme, le Désir avec un grand "D" dépasse le désir freudien ou lacanien en ce sens qu'il vient dans son œuvre interpeller ou tenter l'incréé pour répondre à une autre forme demande, celle qui s'origine dans une autre forme de refoulement originaire dont la dimension est ontologique cette fois-ci. Ce Désir est l'écho qui résonne encore de l'absence provenant du retrait du Commencement. Le Commencement par lequel "la première tension est apparue dans la matière inanimée" pour reprendre une formule lacanienne. Ce silence assourdissant, emplit d'un bruit innommable et surchargé, est celui que le poète capte et relance d'une manière incessante dans son chant poétique afin de le renouer à l'écho que l'Homme perçoit encore du Désir originel qui a marqué de son sceau sa chair invisible. Notons que ce Désir, et c'est ma thèse, ne provient aucunement d'un "manque" à la différence de la thèse platonicienne ou lacanienne, mais d'un "excès" qui vient troubler l'inanimé. La pulsion de mort qui chercherait à  retrouver l'état inanimé ou inorganique est en fait la cause de cet excès ontologique qui nous pousse à vivre, le Désir ne cherchant pas s'y opposer (comme la pulsion de mort) ou à le subir mais à interroger le sens de ce débordement qui agite l'inanimé. Le Désir est le point de convergence et de liaison entre la pulsion de mort et de vie, entre l'inconscient primaire.
 Il est la pulsion traverse l'inconscient et le conscient, les deux mondes temporels de la continuité et de la discontinuité, pour surmonter cette coupure radicale entre l'inconscient et le conscient. Coupure qui fait limite mais non séparation. Coupure qui réclame cependant qu'on lui accorde allégeance et honneur. L'Art se dévoue à cette tâche par la force invocante et advocante  qu'elle déploie en direction d'un temps dont la fracture ouvre un espace vivant pour reconnecter l'Homme à ses nombreux  pouvoirs perdus dans l'oubli du temps qui s'évanouit dans la discontinuité sans fin. "L'Emotion interpelante" qui relie le temps à l'Être et qui stoppe le mouvement discontinu du temps pour le remettre à la Providence, est celui du Cri déchirant, du sanglot que l'on peut contenir, qui s'échappe du corps comme du réseau interconnecté des objets et des autres, pour faire irruption dans l'arrière-plan du monde. Cet arrière-plan du monde est l'être-temps qui enclot notre monde mortel, celui de la relation sujet-objet, et qui est seul capable d'ouvrir l'homme à un autre monde  dont la phénoménalité serait métamorphosée par l'Emotion qui y règne. Car le cri déchirant perçoit dans l'écho de sa détresse la réponse salvatrice qui faisait tant défaut au cri sans appel camusien. La détresse et le péril encourus par le poète enjoignant le cri déchirant de l'homme à retentir dans leur quête commune, seront entendus !  Car la réponse provient de ce cri qui annonce l'avènement d'un temps à venir qui préfigure l'espace de l'Être qui recherche à fonder un  nouveau monde. De ce nouveau monde, l'Homme n'en sera que l'invité et non l'habitant.





dimanche 17 janvier 2016

Nanou

  Ce soir notre petit chat, est parti de l'autre côté.

C'est à toi que je parle Nanou, je ne suis qu'un poète, alors je ne peux te dire que ce que je sais écrire.


Courageux comme le plus doux des guerriers qui ne s'est jamais plaint de la moindre douleur ou de l'acharnement de la vieillesse sur un être innocent, tu n'as jamais capitulé ni baissé le regard devant ta cécité ou ta maladie de cœur qui t'enjoignaient pourtant de fléchir et de lâcher la vie.
 Héroïque jusqu'au bout, tu n'attendais que les caresses de ta maitresse, ou plutôt de
ta maman, déguster ses bons petits plats, mais aussi sentir le soleil  parcourir ton magnifique manteau noir ou bien encore respirer les douces senteurs qui venaient combler l'absence de nos visages que tu ne pouvais plus contempler.


Que te dire qui pourrait t'accompagner dans ton doux voyage qui te mène je ne sais où, toi qui n'existera que dans notre mémoire, oui te dire que tu as ensoleillé tous nos matins gris, nos jours fades  et nos nuits les plus déprimantes. Plus qu'un compagnon, un ami, tu étais, tu es et seras toujours le plus proche, celui qui ne sait trahir ni compter ses câlins, parce que tout entier tu ignores ce que sont les compromis, les demi-mesures. On dit que le chat est le maître en stratégie, c'est en partie vrai car en effet sa seule stratégie est de nous faire ressentir plus légère cette vie qui pèse sur nos épaules comme un fardeau. La noblesse chez toi n'a jamais été une vertu puisque tu étais de cette étoffe que nous pauvres humains ne pourront jamais  posséder, et encore moins revêtir, car notre cœur à côté du tien, est petit et avide, et ne sait qu'attendre pour prendre quand il ne cesse de manquer à donner.


Tu es venu et tu es parti pour nous dire que le courage et le cœur marchent ensemble, que les âmes des chats veillent sur nous plus que nous sur elles, qu'elles sont nos éclaireurs sur des sentiers que nous avons assombris de nos pas, nos pas qui  nous égarent toujours davantage dans la nuit profonde de notre orgueil.


Va, Nanou, pointcom, rejoindre tes ancêtres, fêter pour nous dans ton paradis la vie que nous sommes parvenus, frêles humains, à t'offrir car je sais que tu nous en remercie et nous savons que tu nous t'avons quand bien même rendu heureux, aussi heureux que des humains pouvaient prétendre à le faire. Toi le petit chat qui nous quitte pour rejoindre les étoiles, ton étoile, sache que nous t'oublions pas. Tu brilleras chaque matin comme chaque soir, comme Vénus, la belle étoile, et nous savons qu'elle t'attend pour te préparer les plus savoureux mets qu'une déesse puisse préparer à ses meilleurs invités sauf que toi tu y es maintenant chez toi.
Nous te portons dans notre cœur jusqu'à notre dernier souffle, c'est la seule et dernière promesse que nous te ferons pour ce soir Nanou, avant de te rejoindre. En attendant brille s'il te plaît pour nous dans le ciel. Nous en avons (tous) besoin.
                                                                                            Noune et Philippe






samedi 16 janvier 2016

Fragment Le temps originaire





  L'Ailleurs est ce pont que le poète à l'aide de sa langue, décide d'emprunter (d'em-preinter) pour retrouver les traces des dieux et rejoindre la source d'où s'origine le temps. Notre finitude et la conscience que nous en avons, font de l'homme mortel, le Dasein, l'être qui fait face à son horizon dont la limite est sa mort. La langue par lequel il énonce sa condition est celui du projet qui annonce son advenir irréductible, son futur antérieur qui contient le germe de son existence finie. "Le langage est la langue dans son advenir ontique, en tant qu'elle est le chant de l'éternité qui se fait écho dans le monde" dans lequel le dasein (au sens heideggérien) s'est échoué. Le monde est le lieu où il peut et doit faire l'expérience de sa finitude qui devient sa condition, son être le plus authentique. On "ne devient Homme qu'en se surpassant" (Aristote ou Spinoza), en dépassant les bornes qui nous sont assignées pour mieux donner un sens non pas à notre vie mais à la Vie. Celle qui est éternelle et qui voyage en visitant nos formes finies pour mieux déployer son propre règne et l'horizon qui contient le  paysage que nous composons avec elle.
Le poète prend le pari et le risque de l'exil, d'aller hors de soi et de chez lui, pour expérimenter l'étrangeté inquiétante d'une contrée dont la traversée  devrait le conduire à la source du temps. Car le temps originaire jaillissant depuis sa source, sait ouvrir sa bouche et crier ses mots qui nous proviennent tous par ce chant qui fait irruption dans notre langage mondain, notre langue technique. 
Le pari du poète est de faire-encontre avec cette voix qui devient en s'en en approchant, inaudible, tant le silence surchargé de son "son" s'effondre dans l'abîme du "sans-voix". Le poète poursuit néanmoins son chemin dans cet Ailleurs, sans repère auditif, ni visuel puisque le son ne va pas sans le regard et puisque c'est de leur co-appartenance que l'homme se voit s'inscrire dans une structure indéfectible, composée de  l'écoute et du voir qui lui permettent d'être un médium, c'est-à-dire le témoin de l'être dans ses manifestations les plus sublimes.
Le poète fait alors confiance à son intuition comme si l'appel auquel il répondait se devait de le guider en dépit de son retrait apparent. Il cherche alors à entendre, à capter l'unique ou plus exactement le "premier mot" à partir duquel tous les autres naîtront à leur tour. Il cerne le moment du "commencement" à partir duquel le logos apparaîtra comme la trace du premier moment qui doit disparaitre après son avènement.






le temps originaire, aurait-il à voir avec l'émotion primordiale, celle qui constituerait l'origine des autres qui se déclineraient en de multiples nuances ? Est-ce le moment du retrait du commencement qui fait acte de séparation originelle et par là-même de refoulement originaire au sens ontologique du terme ? Du coup, le refoulement originaire dans sa dimension ontique  est à rechercher dans  cette première coupure qui refait surface dans le champ de notre conscience.
(cf. le fragment "coupure, espace et temps... : le refoulement originaire").



mardi 12 janvier 2016

Les poèmes sont des flèches lancées vers le ciel. Parfois certaines d'entre elles, bien que très rares, diffèrent leur retombée . Cet espace qui rencontre le temps et modifie l'instant de leur chute, nous laisse à penser que leur retour ne se fera pas sans retentissement.


                                                                      La Nuit




Faut-il qu’il y ait toujours des rythmes, des syllabes et des secondes,

Pour que le monde enfin me réponde ?

Quand mes questions frappent à sa porte sans qu’il daigne entendre,

Que derrière le bois imposant de sa porte scellée,

Les verres chauds s’entrechoquent dans le rire de ses invités ?

Mais la nuit était si claire et ses étoiles de si bonne humeur,

Que je les regardai depuis leurs pieds d’estales pour tenter de les attraper.

Plus éloignées qu’un monde imaginaire, 
Plus proches que ma poitrine sur mon cœur,

C’est sans peur que je pris dans mes doigts la première, 
Qui tomba à mes souliers.


Leur plainte se mit alors à résonner,
Pour guider mes pas timides vers elles,

Éclairant de leur lumière, la plus fidèle,  
Les détours sinueux de leurs sentiers.


Car ce soir la chance m’avait invité à  rejoindre le Ciel,

A pourfendre l’immense espace qui échappe au passé

D’un monde encore à sa fête, et pourtant déjà oublié.

                                                                 
Philippe Belardi, Nuit, 2012.











Nos deux mains



Tout près de la cheminée défaillante, les bois de chênes fondaient

Dans le rythme lent des flammes vacillantes aux  cendres rouges orangées.

Calme,  je me reposais dans l’épaisseur d’un fauteuil de flanelle,

Quand ma main dans la sienne s’abandonnait  dans son étau charnel.

Je la laissais quitter mon corps afin qu’elle ne m’appartienne plus,

Et danse  dans une autre au rythme immobile d’un silence étendu.


C’est pourtant  de leurs formes familières, que jaillit une inconnue

Qui me fit d’un coup découvrir le monde que j’avais  aperçu.

Ecrin  de velours pour deux âmes, lassées de trop longs  voyages,

Qui dans  le rose satiné retardaient  leurs inexorables naufrages,

Trouvèrent  refuge dans la chair partagée de deux mains enlacées.


Providence terrestre au cœur d’un désert évidé,

Les âmes y déposèrent l’Amour
qu’elles avaient patiemment transporté.


Il y a des évènements que le  Ciel ne peut ignorer

Quand il  succombe,  à la beauté de ce qu’il  a  créé.

Ce soir, tout près de la cheminée éclatante, il contemplait

L’innocence de deux mains offrant le spectacle le plus insensé.

                                                             
  Philippe Belardi. 2012.






Les Formes qui ne parlaient pas.



J’aime les formes qui ne parlent pas,

Quand la lumière  dépose sur leur surface,

La promesse d’un espace, la découverte d’une trace.


Quand le prodige du reflet, la donation du miroir,

Me donnent à voir le Monde

Dans son plus minuscule détail,

Ou que dans sa moindre faille,

Me font apercevoir dans leur pénombre

Les prémisses du chemin vers le Grand soir.


J’aime les formes qui ne parlent pas.

Dieux cachés ou enfouis sous  la poussière,

Le souvenir atteste dans l’éclat de sa lumière

Le rêve insensé de vous retrouver tous  ici-bas.


Si votre silence est l’espace dans lequel vous parlez,

J’irai écouter dans les profondeurs du vide et de l’absence,

Suivrai le moindre petit indice, votre moindre défaillance,

Pour vous faire sortir de votre cachette, de votre Palais.


J’aime les formes qui ne parlent pas.


Et dans le plus minuscule reflet du monde,

Dans le plus insignifiant de ses éclats,

J’ai vu  que dans le jeu de vos ombres,

Dans l’infime trace de vos pas,

Toutes,  vous m'attendiez.

                             
    Philippe Belardi,    9 Mai 2013











Songe



Par les souvenirs qui traversaient les âges,

J’aperçu dans l’espace blanc d’une seule page,

Une forme qui dans sa pure transparence,

Fît naitre devant moi  le premier silence.


Tous mes sens captés par le mystère

Se détachaient de ma chair libérée,

Plus légers qu’une aile voyageant dans l’air,

Quittant le sol  sans vouloir rien emporter.


Dissous dans l’espace blanc de ce silence,

Mélangé dans les couleurs du passé,

Le mouvement prit dans sa force  intense,

Le dernier souffle qu’en Moi je retenais.


La lumière blanche traversa la seule page

Que l’existence, avait cru laissée vierge,

Pressée de rejoindre au plus vite la berge,

Pour fuir le tourment  de ses  grands ravages.


Mais quelque chose restait pourtant  présent,

Portant la marque de l’étrange filagramme,

Sur la  délicate page  emprisonnant

Le fossile de l’homme, et de sa pauvre âme.


Je tentais vainement de les libérer

De leur étrange sanctuaire de papier,

Mais une douce voix me dit que c’est le Temps

Qui les figea dans un acte consentant.


C’est ainsi que par le jeu du  hasard,

L’existence soumise  aux  caprices du  temps,

Et au désir éternel  de son regard,

Fit de l’Art
son éternel présent.

                                                                     
    Le Songe, Philippe Belardi, 2012.















L’Eldorado



C’est Transi de froid, que je trainais mes pauvres pas

Sur des chemins glacés privés d’équilibre,

Laissant  mes pieds inquiets  perdus dans l’embarras,

Sans l’aide d’un guide qu’ils auraient pu suivre.


Destinés à risquer les immenses précipices,

A me perdre dans le sombre des grandes verticales,

Je n’espérais plus rien à moins que ne se brise,

Mon corps fatigué sur les rochers de cristal.


Mais à caresser le reposant  froid des banquises,

A Retarder le pâle cortège de ses hantises,

La cassure tomba  nette sur ma nuque frêle,

Comme le  couperet qui s'abat sur la dentelle.


Mais le ciel horrifié m’offrit une seconde chance,

            M’éloignant des faux-séduisants et  rassurants sentiers,

Qui  ne méritaient ni respect ni obéissance,

A l’égard  des tristes hommes qui les avaient tracés.


Sans crainte je coupai à travers champs, pour rejoindre

Les hautes montagnes aux cimes flottantes, blondes et  colorées.

Prenant congé de mes derniers doutes  évaporés,

C'est dans la lumière frémissante d’un soleil à peindre

Que je découvrais l'espace doré
Des toiles de lin au parfum de vahiné.

                                                                                                 
                                                                      Philippe Belardi, 2012.













Le Poète



Vous a-t-on parlé, de cet être indéfinissable

Exilé aux confins des espaces les plus reculés,

Purgeant en solitaire la peine à perpétuité

Qu’il avait sollicitée pour sauver son semblable ?


Qu’à cela ne tienne lui rétorquait la voix du ciel,

Si tu veux réussir là où j’ai par deux fois échoué.

Ce n’est pas ta prétention qui pourrait m’offenser

Ni ton innocence flirtant avec les statues de sel !


Mais je connais déjà la réponse à ce sujet,

Et sache que je n’accepterai aucune autre plainte;

Si de l’enfer tu voulais rentrer en terre sainte,

En évoquant mon pardon comme preuve de bonté !


C’est ainsi que l’être engagé, accepta son voyage

Dont il savait bien que jamais il ne reviendrait.

Déchu, il tomba dans un monde vide de partage,

Où la matière régnait sur la chair emprisonnée.


Ignorant pourquoi le sombre ciel l’avait expédié

Au cœur d’un empire barbare au sort déjà scellé,

Il tenta sa chance en jetant dans un lac glacé,

Ses clés d’anges qu’il avait su subtilement garder.

La glace céda alors sous l’excès de lumière argentée,

Laissant le métal atteindre le fond, pour le faire trembler.


La terre sembla tousser, vomir et enfin rejeter,

Ce qui du passé l’avait au plus profond blessée.

Elle lui dit dans sa langue, que la souffrance de ses enfants

L’avait révoltée si bien qu’elle cracha son venin,

Polluant l’air et par la-même la pensée des humains,

Au point de les rendre fous et les priver de leurs dons.

Désormais, leur langue ne dira plus rien de ce que le son des mots,
                                                               abritaient de l'âme de la Terre.


La triste vengeance dont elle se repentait maintenant,

Était l’augure d’un heureux jour,  mais à la condition

Que leur peine, ne ternisse plus jamais leurs relations,

Et n’enterre les hommes-terre dans leurs sombres ressentiments.


Mais l’Homme et la Terre ne parlaient plus la même langue,

Et le miracle de les voir un jour, ensemble parler,

Aurait comblé l’être engagé s’il trouvait la Langue,

Que les dieux rieurs avaient par simple jeu, égarée.


La clé des anges qui n’était plus désormais la sienne,

Répondit à l’appel en offrant un chant sensible

Aux douces mélodies subtiles ,et au sens impossible

Qui pointa du feu et du doigt la beauté souterraine.


Les dieux  rirent beaucoup de  voir ce drôle de rebelle

Les défier, pour enfin réussir contre tout destin,

Ce qu’aucun d’entre eux n’aurait  jamais atteint

Par peur, de le manquer et décevoir l’Eternel.


Tandis que la terre et l’homme célébraient leur mariage,

Le Très-haut décréta d’un sourire complice d’amour,

Que la poésie serait le nom de ce doux langage,

Qui sauva le monde et surprit le ciel un peu sourd :

«  Poète, mon très humble, étonnant et vaillant ami, 

Puisses-tu continuer à faire vibrer les harpes de ton cœur sage,

 Et Infini  ».

                                                              
Philippe Belardi, 2012.


Femme-Déesse 

Clair-obscur,
Où te tiens-tu ?
Sinon à  l'extrémité
du bord de notre existence !

Tu es l'indéchiffrable énigme,
Que notre vie affronte
Dans l'écoulement du temps
Et l'épuisement de nos sens.

Mais tu as inventé l'éternité
Pour que notre quête
Trouve l'espace désiré 
De notre espérance.

Pourtant tel l'horizon 
Qui recule à chacun de nos pas,
Nous avançons vers toi
 sans la moindre réticence,

Alors que tu te joues de nous
Comme les dés
que tu lances,
entre nécessité et contingence.

Nous t'appartenons, Femme,
Eprouvant le moindre mouvement
de tes humeurs
Comme une lame qui pénètre notre Cœur.

Désir, Enivrement Ou Mystère,
Déesse vénérée ou terrifiante sorcière,
Tu es le premier mot 
Que l'homme inventa avant de crier le nom  
  De Dieu,
Pour pleurer sa condition mortifère.

Insensible à nos cris comme à nos douleurs,
Le néant t'appartiendrait-il donc depuis 
l'aube du monde ? 
Sais-tu que l'Homme foule de ses pieds ta terre
Dans l'errance de ses interminables heures ?

Quand daigneras-tu
Entendre le chant des Héros,
De ces poètes qui risquent leur péril
Pour sauver l'Homme de l'énigme 
Que tu leur dissimules, voilée ?

Pourquoi les rends-tu mortels
Quand ils te vénèrent,
Que tu les dévores comme tes propres enfants,
Quand le temps, ton désir, les soumet ?

Sache qu'un poète vient de se lever
Pour te faire accoucher de ton esprit rebelle.
Qu'il peut tout entendre
Si tu lui promets d'achever ce poème,
Que tu avais le jour d'avant le premier jour,
Décidé de commencer.



Philippe David Belardi. Février 2016.


Poésie.



Chant du silence
Qui glisse sous mes sens,
Je te laisse me souffler tes mots.


Brise indicible,
Tu soulèves de tes lèvres
Un souffle chaud.


Que dois-je dire,
Ou répondre, aux assauts
De ta  langue muette ?


Ecrire des lettres
Sur lesquelles ton regard
Posé, les fera toutes disparaître ?


Remerciement,
Ou Sacrifice,
Je ne connaîtrai de toi
Que l'errance de mes artifices.


Ton vent me souffle
Des quatre coins du monde
Des contrées à conquérir,


Mais tu te retires d'elles,
Dès que je veux
Bâtir pour toi leurs citadelles.


Or ta voix
Ne me quitte pas,
Et je sais
Qu'elle me portera
Jusqu'à toi,
Au moment
Même où tu choisiras,
Dans l'entre-deux monde,
Par ta bouche,
Ce qui nous séparera.



Philippe David Belardi. Février 2016.




Solitude


Tu rôdes depuis toujours
Dans l'errance d'une capture
A sacrifier.

Tes jours, se remplissent des appels au secours
De ceux qui ne sont plus très sûrs,
D'exister.

Vestige  des amours,
dissolus dans un passé obscur,
Tes actes sont tous désespérés.

Car tu nous rends sourd
aux vieilles paroles dures
De nos tragédies jamais consumées.

Oui, tu veux rallumer le feu barbare et le glaive lourd,
Pour que notre désir reste intact, pur,
Amnésique et libéré.


Solitude, 
Pourquoi nous renvoies-tu à notre petitesse, notre piètre allure,
Quand tu nous promets ta main, perchoir-vautour
Du premier chagrin, que ni toi ni personne n'empêchera de se répéter.

Philippe David Belardi, Mars 2016.

L'Orchidée de papier


Belle tige à l'audacieuse cambrure
Ta peau satin fait briller ta dorure.
Tes couleurs constellées, toutes éclatantes,
Pétillent dans la chaleur d'Août insolente.


Le soleil s'est pris pour une goutte de sang
Qui au coucher, s'est penché en tombant,   
Sur ta robe blanche empourprée du vent
Qui leva  ton voile jadis, innocent.


Ta soie devenue chimère de  papier,
Réclama son seul parfum dérobé
Qui de la main agile et déguisée
Ne put rien te rendre, ni même remplacer.


Tu portes à présent sous ton doux manteau
Le poids de tes rêves et de tes fardeaux,
Tu scrutes le naufrage des papillons,
Privés d'un nectar passé, arrogant.


Tes souvenirs seront tes seuls désirs
  Poussant dans un désert de sable mouvant
Et ton cœur a beau lutter contre le pire,
Ton voyage suivra le ciel et le vent.


Philippe David Belardi, 17 avril 2016.



Andalousie





Je t'aime Andalousie, quand  ta belle âme
Porte en elle la fièvre et la jalousie,
De ces femmes qui n'avouent leur flamme
Qu'au bord de la mort ou de la folie.




Mélancolie, tu chantes pourtant l'espoir 
D'une terre foulée par les minotaures noirs,
D'où s'échappent le secret et la magie
Chantant l'étreinte du Soleil et d'un doux pays.




Je t'aime Andalousie,
Quand tes guitares au corps de femme résonnent,
Soulèvent le sable du désert envoûtant
Qui abrite le désir brûlant de l'Homme,
D'un corps où se mêlent le Feu et le sang.




Je suis tes courbes, tes montagnes, tes vallées,
Je me sens vivant à chaque souffle volé,
Quand ton parfum ambré se laisse capté
Par le doux vent bleu ciel et rouge cendré.




Je t'aime Andalousie,
Mon chemin se glisse dans tes pas paisibles,
Me laissant l'horizon pour compagnon,
Et mes yeux, en quête de l'unique cible,
Dans l'immense infini, s'épuiseront.




Mes derniers mots iront à ton grand cœur,
Qui puise dans le sol fort et prometteur
Le message noble et pur de ta grandeur,
Lorsqu'en Mère, tu nous sauves tous du Malheur.




A Pascualina, mi madre.




                                               Philippe David Belardi Zamora. Avril 2016.










Coquelicot




Ton rouge m’a saisi  dans l’instant,


Ton éclat, ressuscitant mes sens,  


Fêtait le retour de mes dix ans


Dans le regard de ton innocence.




Des fleurs, j’en avais vues et regardées,


Des splendides, des timides, des fanées,


Que j’avais bien souvent capturées


Pour leur bel et  éphémère bouquet.  




Mais pour toi, et je ne sais pourquoi,


Ma main ne s’est jamais égarée


Là où le regard à peine frôlait,


Tes pétales légers comme de la soie.




A chaque fois que je t’aperçois,


Seul, ou avec tes légions de joie,


Je redeviens cet enfant qui croit


Que rien de mal n’arrivera.




Car ta légèreté audacieuse


Ayant bravé tous les vents pernicieux


Et leurs pluies torrentielles insidieuses,


Annonce le beau temps, le ciel bleu.




Symbole, emblème de l’incandescence,  


De l’espoir abritant l’innocence,


Tu agites de ta danse  insolente,


Les Voiles de notre âme rugissantes.




Car tu les guides sur nos terres arides,


Quand abandonnées à ton sourire,


A ta candeur, elles échappent au Vide,   


De l’amour absent, qui fait souffrir.




Tu connais mieux, bien mieux que personne,


L’écoulement infini du temps,


D’une seconde qui se retient, se donne,  


Qu’à celui qui la désire et l’attend.




Quand le feu du temps s’est consumé,


Dans ta robe pourpre, tu as retenu,


Le sang de tous ceux qui t’ont regardé,


Et qui de ce bas monde, ne sont plus.




Mémoire sur Terre d’une fragilité


Que nous transportons dans notre chair,


La Beauté triomphe de l’Ephémère


Pour nous conter notre éternité.




Grâce à Toi,


Ce que je fus, ce que je serai,  


Je l’ai vu dans ta simplicité,


Dans ta forme, que j’aurais pu rêver,


Comme un enfant, t’aurait dessiné.




Je suis Toi,


Un coquelicot seul,


Ou accompagné,


Dans un champ oublié,


Au bord d’une route fréquentée.


Au bout d’un chemin,


Au seuil de ma destinée.


      Mais en liberté.




                                                       


                                                             Philippe David Belardi. Mai 2016.