dimanche 23 février 2020

Sentiment primordial

L'empreinte originelle sur nous, notre forme, est l'écho immanent et résonnant que les dieux ont déposée. Elle est notre vécu le plus lointain et le plus proche à la fois, oublié et surmonté à chaque instant par un registre émotionnel qui la transporte autant qui la masque.

Le sentiment primordial git en un lieu formel, corporel, scintillant en silence comme un cristal de diamant, irradiant ses rayons jusqu'à une surface que nous appelons l'existence : notre corps ouvert, offert à son extériorité.

S'agit-il de la joie de Spinoza, du sentiment tragique et pessimiste d'Héraclite ou Schopenhauer, de l'angoisse de Kierkegaard, Heidegger ou Freud, de l'ataraxie des stoïciens grecs, pour ne citer que ces exemples ? Plus encore, pouvons-nous soupçonner un autre sentiment, l'Amour, si l'on tend notre oreille au regard poétique que nous devons poser sur le monde, dont un certain André Breton disait : "Au départ il s'agit pas de comprendre mais d'aimer" ; dans ce cas, il faudra nous interroger, sur ce qu'est l'Amour.

Notre enquête nous a mis sur un chemin parsemé de découvertes : l'idée de séparation liée à l'oubli de l'être voire à l'oubli de l'oubli de l'être, a crée un vide dans lequel se sont glissés pour le combler, les sentiments d'angoisse, de tristesse, d'absurde, versus joie, tranquillité, volonté de puissance ou que sais-je encore ! La réaction psycho-affective à notre condition mutilée par l'oubli est un désastre au sens étymologique, car séparé de notre étoile originelle, le désir provenant de notre éloignement avec elle, produit un manque insurmontable, une source de conditionnements qui, tous pris dans leur globalité, se transforment en une question que la philosophie doit prendre à sa charge, soutenue par la poésie, sa grande sœur qui l'accompagne dans son aventure.

Ce chemin escarpé mérite qu'une main attentive nous guide pour ne pas tomber dans les choses déjà dites (croyances) qui n'ont fait qu'être maquillées au gré de l'histoire des idées, pour paraître nouvelles et séduisantes de manière à nous rassurer, nous endormir, dans un phormol intellectuel.

Le poète d'ailleurs, métaphore d'un souvenir éclaté (les fragments du réel), rassemble grâce au langage poétique (le filet analogique) ce qui ne l'est pas, ou plus, par manque d'ouverture, d'audace, et d'espoir. Nous avons séparé le corps de l'esprit, puis l'esprit de la réalité, puis la réalité du réel, puis le le réel du surréel, pour créer des catégories que les nouveaux liens logiques (nivelés et indexés à chaque catégorie) viendront conforter : autant de réductions de puissance imposées à l'homme qui est un ensemble alors divisé, fragmenté, séparé de sa totalité.

Pourtant, peut-être, suffirait-il qu'en un espace, un point de la totalité, survienne l'événement de la totalité reconquise, la parousie, pour qu'elle soit étendue par effet systémique à l'ensemble de l'ensemble de l'ensemble, comme une onde de choc traversant sa propre contrée jusqu'aux rives des horizons brumeux et lointains. L'homme n'est pas encore Homme.

L'idée est que cette reconquête de sa nature propre passe par l'émotional, l'émotionnel ontologique, et qu'il s'agit de déterminer selon une méthode assez originale, à la manière de Novalis (mais en procédant à l'inverse) où, en partant de la pensée obscure et confuse philosophique (s'opposant à Descartes) la pensée poétique claire et distincte nous éclaire dans notre quête de vitalité plus que de vérité : se sentir vivant plus qu'animé par la raison à savoir le sentiment de vérité. Bien sûr, cela nous impose un acte fort, engendrant la requalification de certains concepts tels que le corps, l'esprit, la raison, la vérité, la perception, la sensation... tout autant d'éléments qui ont été abordés dans une première ébauche (notre thèse) qui doit être  plus menée en profondeur.

La chair invisible doublure de notre corps physique, met qui a le premier rôle dans le scénario ontologique qui lui est assigné, est le temple qui garde l'Emotion que nous traquons au moyen... de quoi au juste ? De la mémoire. Pas celle qui nous avons développée pour fonctionner ici, dans cet ici et maintenant composé de passé et de futurs hypothétiques projetés avec du passé aggloméré et réagencé, mais une mémoire appartenant à un autre temps qualitatif qui se montre sous la figure de du Kairos et qui se terre sous le chronos, le Aïon.  Ces trois modalités du temps que les grecs avaient explicitées, nous enjoignent à une réflexion critique quant au temps qui souvent à réduit à un espace (notre corps et son environnement) nous encercle dans des limites de pensée. Limites qui nous séparent de ce que nous cherchons.


Mémoire et temporalité ne font qu'Un, mais de quelle mémoire parlons-nous, et de quel temps parlons-nous ?
La mémoire nous enseignent les psychologues est triadique, se déclinant en mémoires autobiographiques, sémantique et procédurale, nous permettant d'avoir une identité propre, avec l'idée d'une certaine autonomie, liberté et responsabilité, un vécu à part entière, la faculté d'user d'un langage commun à notre espèce, et d'apprendre à fonctionner en réalisant et répéter certaines tâches s'inscrivant dans certaines fonctions, bref de disposer d'outils. Mais cette mémoire est le voile qui cache une mémoire plus archaïque, celle qui reçut l'empreinte du premier sceau créateur.

Elle est donc souvenir soupçonnable qui se montre sous la forme d'un écho chuchotant à notre intuition dont la limite de portée, se réduit à une impression sensible à peine perceptible et pourtant ! C'est à partir de cette intuition liée à son pendant perceptif que nous nous devons de partir pour remonter à leur source unique.

La mémoire sous son manteau doublé, cache donc le trésor d'un récit dont la maille, le complexe, s'attache à nous conter son histoire, mais l'écho qui en est la porte d'entrée, est à capter dans un silence particulier que nous souhaitons interroger. Ce silence fait taire les bruits parasites d'un monde refermé sur lui-même pour s'ouvrir vers une transcendance-immanente ce qui signifie qu'au départ, un saut qualitatif s'impose pour s'extraire du bruit du monde et entrer dans une zone de silence particulier, espace transcendantal à partir duquel le silence en nous, par résonnance, entre en communion  avec notre empreinte originelle. Ce saut est un saut particulier : un saut dans le silence.