dimanche 30 avril 2017

L'arbre dans le vent



Quelle peur agitait donc tes feuilles belles et tremblantes,
ballotées par le doux vent chaud
du printemps ?

Toi, l'arbre de soie,
Tu cachais sous ta peau de bois
Tout un monde intime,
Baignant dans la lumière
secrète,
De ton vert intact
Protégé du temps.

Ton âme cachée au plus profond de tes nervures,
indécelables au toucher,
Palpables seulement dans le mouvement
De ton élan,
Je l'ai vue, moi, s'agiter.

Là où l'ignorant ne vît qu'un arbre bouger,
L'innocent s'émut de voir le mariage du vent et du bois
Faire voler en éclat
Le silence étendu, arraché à son immobilité.

Qui  est ta danseuse invisible suspendue à tes bras de brindilles,
Toi l'Arbre qui te plie pour suivre ses pas incorruptibles ?
Toi qui te soumet à son rythme intense
Qui t'emmène loin de ta fixité verticale ?
Qui est-elle, cette belle colombe en robe de cristal
Qui t'a fait oublier le refuge de ta source minérale  ?

C'est pourtant au cœur de son jeu habile
Que j'entendis presque inaudible,
 Et Imperceptible, ton craquement :
Ta voix d'éclairs, écrasant l'air de ton timbre éclatant.

Tu me dis que ta danseuse impérieuse,
Indocile à tes pas immobiles
T'avait conduit loin de ton cœur de bois
Qui s'était refermé sur lui-même, pour se protéger des grand froids.

Que pour répondre à sa voix rieuse
Qui avait frôlé l'insolence de l'instant,
Tu avais exaucé ses paroles 'supplieuses'.

Que ton  tissu d'écorces encore endormi  du printemps,
 Avait frissonné pour la première fois,
Craquelé comme le vieux cuir tanné
Du temps.

Tu me dis qu'elle était née du grand vent,
Qu'elle dansait sur la brise
Comme d'autres chantaient le mauvais temps.

Que sa main plus forte qu'un séisme
T'avais caresser comme le chant velours du rouge-gorge,
 T'avais conquis par son doux parfum de vanille
Aux accents blonds-d'orge-dorés,
Parfumés d'embruns de lointaines îles,
Au thym-passion-sucré.

Tu me dis que seules tes racines t'avaient empêché
De la rejoindre dans les hauteurs du ciel transparent.
Que de toi-même tu les aurais sans doute coupées
Si elle ne t'avait pas supplié à l'oreille
De les épargner de l'ardeur du soleil
Que l'été persistant
Aurait sacrifié au ciel brûlant.

Que le soleil chaud de la saison
Tomberait sur elles
Sans se soucier de la terre
Nourricière ouverte aux quatre vents.

Que voulait-t-elle donc,
Cette dame aux allures inhabituelles?
Qui était-elle donc, derrière son mystère,
Et son apparat d'hirondelle ?

Une danseuse invisible,
Invincible,
Voyageuse des grands vides et complice du beau temps,
Libre comme l'air
Transparente comme une eau claire
Qui pleut du printemps,
Quand la neige éternelle des sommets éclatants
La jalouse même en secret,
Comme si le désert
Venait l'exhorter à fondre sur le champ.

N'avait-elle plus qu'un rêve à exaucer
Pour faire de sa vie son compagnon,
Du visible son amant,
Apparaitre en image pour se laisser mourir pour de bon...
Une image que le plus aveugle verrait dans l'instant.

Rester là auprès de ce géant de terre,
Qui aurait su la faire prisonnière
Pour un court instant,
La retenir loin de son repos éphémère
Pour qu'elle se repose enfin,
Pour ne rien faire...

Contempler, respirer l'air
Comme l'arbre épris du vent,
Comme l'enfant que nous avons tous été
Qui peut passer sa journée, tout son temps,
A regarder les branches  jouer avec le vent,
Se laisser transporter avec elles
Le temps que le ciel les prenne
Et les enmène dans ses ailes
Tourbillons.



Philippe David Belardi,  Contes, poèmes et nouvelles pour petits et grands enfants,  2017.

dimanche 9 avril 2017

Le point Vertigineux



Je veux atteindre ce point où tout s'effondre pour renaître en permanence, l'atteindre à moins qu'il ne vienne à moi, puisque son désir peut aussi bien appeler le mien à l'étreinte de nos deux corps. Je veux atteindre ce point vertigineux qui ne va pas sans rappeler le point sublime ou suprême d'un certain André Breton qui au nom de la poésie, provoqua le destin en duel.
Ce point qui échappe à toute topographie, à toute géométrie, qui est pourtant là quelque part, sur un plan insoupçonné encore, je l'entends qui résonne  dans chacune de mes pulsations intuitives comme un frisson qui hérisse à la surface de ma peau sensible, l'étoffe de mon âme.


J'ai depuis toujours assisté à ces rendez-vous manqués, où le hasard du destin ma manqué d'une seconde, d'un pas fait sur le côté pour esquiver notre rencontre. Pour pour me congédier et me renvoyer à mon attente, celle d'un désir qu'il désavouait du moins provisoirement.
Le destin jouait à cache-cache, moi les yeux bandés, lui tournoyant autour de moi  me transformant en toupille aveuglée,  séparée de ses  sentiers tortueux, escarpés, parfois à flanc de précipices, qui mènent à lui.


J'attendais la fin de ce jeu long et parfois cruel, même si je savais qu'il en valait la chandelle, celle qui de sa lumière éclairait enfin le monde obscurci par l'ignorance de mes pas perdus.
Ce point vertigineux pointait le bout de son nez maintenant, je le sentais désormais emporté par les vents doux qui effleurent la surface de ma peau, me donnant les indices de notre rencontre dans les évènements synchroniques de l'existence, ceux qui offrent davantage de profondeur à mon regard, d'épaisseur à ma pensée, de hauteur à mes jugements, de tranchant à mes décisions.


Car la réalité était autre que ce monde préfabriqué que ma pensée et sa mémoire complice dupliquaient à  souhait, me proposant toujours  le même monde. Une série illimitée de pâles copies d'un monde oublié. Ce modèle originel brillait pourtant derrière les nuages dissipés.  Il était ce point dérobé que mon cœur n'avait jamais  cessé de voir en ligne de mire  ; c'est mon corps et mon esprit qui maintenant l'assignaient à s'aligner sur la droite ligne que mon destin s'était promis de parcourir. J'étais près, enfin prêt... le vertige n'étant plus l'appréhension du vide, de la chute, mais l'appel intime de la conscience qui transformerait le monde en y invitant la Vie.  L'éclair de l'instant, l'étincelle de la Rencontre, la magie de la poésie, tout cela c'est la Vie qui se fixe en un point qui se dérobe et  que nous appelons "Je", faute de lui avoir trouvé un autre nom, son vrai nom. Ce que nous croyons être n'est que le moment où elle sait séparée d'elle pour se regarder dans son miroir : le point 'vertigineux '. Là où elle s'est arrêtée.  Nous sommes 'le souvenir de son image'... L'espace où l'arrêt inespéré de son mouvement éternel s'est posé pour se regarder.