mercredi 9 mars 2016

Si nous n'étions que des rêves



Le poète chemine sur des sentiers nébuleux qu'ils traversent pour enjamber "les ailleurs" dont il provient, et auxquels il retournera inlassablement.
Il revient de cet "Ailleurs"  pour nous raconter un mythe étrange qui prend sa source dans le récit de la genèse biblique.  Une histoire qui nous raconte le Monde et son origine.
Ce qui demeure étrange, c'est que le poète a interrompu son récit au moment où le livre de la Genèse semble lui-même marquer un temps d'arrêt au chapitre 2 verset 3 : le moment où Dieu satisfait de sa création, décide de se reposer en contemplant son œuvre. Ce moment n'est pas un moment secondaire voire anodin car "il est celui du septième jour".
Or le poète nous dit que ce septième jour est non seulement l'acmé mais aussi le point d'orgue de la création, et qu'il ne s'est jamais achevé puisqu'il qu'il dure encore et toujours. Ainsi, que ce que nous appelons le temps n'est pas autre chose que cette apparente suspension d'activité divine. A ceci près que la suspension d'activité dont il est question et qui concerne celle 'du créateur', n'est pas une pure absence d'activité ou absence de  sa présence.   Dieu en effet, à défaut de créer, se repose dans sa pensée si bien que celle-ci s'apparente en quelque sorte à notre activité onirique, quand, dans notre sommeil profond, nous dormons et rêvons à la fois.
Le poète d'ailleurs, au risque de nous choquer, nous affirme que Dieu rêve et que par conséquent, ni  le péché, ni les tribulations qui ont suivi, ni même la création d'Eve, n'ont pu encore s'actualiser. Dieu a simplement pensé dans son rêve les possibles conséquences de son acte de création, à l'instar de l'Homme qui ferait un mauvais cauchemar. Mais Dieu ne fait pas de mauvais rêves : il pense simplement à ce que la destinée de l'Homme pourrait prendre comme tournure, dès lors que la possibilité du libre arbitre présente une éventuelle  brèche dans la solidité et la stabilité de l'ouvrage qu'il  souhaite fonder pour l'éternité.
Aussi, ce septième jour dure encore, si bien qu'il est légitime de demander au poète de quelle "nature" est fait le monde phénoménal et les hommes qui sont supposés y vivre et donc exister.
Elle est faite de rêve, nous dit le "poète d'ailleurs", car la matière onirique divine fait que de par sa puissance, elle est capable d'engendrer un certain degré de réalité auquel les hommes, à la fois pures virtualités et en même temps images d'un pur  inconscient ontologique, sont capables de s'identifier, croyant à leur insu qu'ils existent. Pis encore,  captivés par leur propre image qui est un leurre, ils se considèrent parfois  pêcheurs quand ils portent en eux une culpabilité dont ils pensent être les dignes héritiers.
Les hommes sont faits d'étoffe de Rêve, tissu composé de la fragmentation des rêves d'un Dieu dormeur qui évalue dans son sommeil contemplatif, les risques possibles de sa création.
Sommes-nous alors réels ou de simples rêves évanescents, prêt à se dissiper dans le néant, dès le moment où Dieu sortira de sa torpeur ? Le poète nous dit qu'il n'y a pas de distinction entre le rêve et la réalité, que nous peuplons la pensée de Dieu (le muthos, la pensée dormeuse et silencieuse précédant ou suivant l'acte de création ) de même que le premier Homme, Adam, est le produit de la pensée créatrice divine (le logos). En tant que Muthos, nous sommes voués à un  avenir encore indéfini, indeterminé, et c'est en ce sens que nous nous sentons à tort séparés de Dieu alors que nous sommes simplement dans ses rêves, fait de ses propres rêves, ceux qui précèdent son retour au monde qu'il a créé, une fois son sommeil contemplatif consommé.
Où est donc alors notre liberté de penser ou d'agir ?
Le poète nous affirme, lui qui cherche à remonter dans les profondeurs  des rêves divins et vers leur source, que la question de la liberté ne se pose pas, mais que celle de la connaissance qui  précède et clôt derrière elle celle-ci, doit être recherchée. Nous sommes des rêves et nous n'avons qu'à nous faire porter par leur mouvement prodigieux et magnifique de leurs pensées en devenir, qui à la différence du premier homme créé, font de notre nature une nature qui n'est pas encore extérieure et hétérogène au 'Créateur'. Puissions nous être heureux et parfaitement comblés d'être le produit et dans une certaine mesure, l'essence même de la pensée de Dieu faite muthos, qui pourrait bientôt se transmuter en logos, 'si Dieu le veut'.



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