vendredi 7 mars 2014

Fragment "Le chant d'Ulysse"

Les sirènes chantent ce que l’Homme ne peut entendre, entendre dans son acception forte à savoir celle d’avoir la capacité à résister aux assauts de la Langue. Elle est le cri des mots provenant des profondeurs des océans, de nos âmes qui réclament d’être entendues à défaut d’être écoutées. Est-ce la voix du Réel qui nous porte tout en se dérobant à notre ouïe ? Oui elle est la voix brute sans artifice,  indomptable, qui jaillit du tréfonds sans subir l’aliénation du langage. Parole vivante mais destructrice telle le feu divin qui peut embraser celui ou celle qui s’en approcherait de trop près. En quoi détournerait-elle le marin de sa trajectoire qui  le conduirait à bon port ? Parce qu’elle le désoriente  par sa force difficilement maitrisable,  plus qu’elle ne cherche à causer sa perte. Porteuse d’un message, celui de l’Eternelle éternité, elle est la première voix qui fait jour quand la semence des dieux éclate à lumière du monde intérieur. Elle est le son qui va porter la première lettre de l’alphabet « A » pour la répandre dans ses multiples combinaisons créatrices. Elle n’est pas la confusion des langues mais au contraire ses racines avant qu’elles ne fassent subir au Réel sa transformation et son saut dans le monde sous la figure de la réalité. Ulysse n’est pas prêt pour entendre cela, comme ses liens le retenant au mât de son navire en témoignent, ainsi que la cire mise dans les oreilles de son équipage attestent de la fragiité de leurs âmes. Il y là quelque chose qui aurait pu faire choc si la chaleur avait eu le temps de répandre son pouvoir dans la cire, et faire que quelque chose s'en délivre. Une émotion qui aurait pu même s’emparer du cœur d’Ulysse et contraindre Athéna à abandonner la partie. Car si c’est Circé qui le conseille de protéger son équipage, et qu’il entreprend timidement d’écouter le chant des Sirènes en se faisant attacher au mât de son bateau de peur d’échouer sur les récifs, il ne cherche à les affronter. Son manque de courage a quelque chose à voir avec Athéna, et Circé dans leur pouvoir d’envoûtement. Les déesses peuvent surprotéger nos héros pour les réduire à ce qu’ils ont d’Humain et non à ce qu’ils ont de Divin. De quelle partie s’agit-il ? Et quel enjeu s’y cache ? Celui d’accéder au rang précisément de dieu puisque le logos de l’Homme émane de la voix des sirènes. Etrange voix certes mais qui fait naitre l’Homme à lui-même. Les sirènes porte-parole des dieux en sont ainsi le prolongement. Les dieux qui ont du se faire « femme » pour faire de la matière leur propriété afin de cultiver l’âme de l’Homme. De cette culture ontologique d’où jaillira le fruit qu’est l’Homme, précède la floraison : le vent des sirènes. Le souffle des dieux ne cesse de souffler et de se disperser aux quatre coins du monde. La floraison porte en elle la beauté des dieux et le premier souffle sinon le premier parfum qui peut parvenir jusqu’à nous. Il est le parfum subtil qui enveloppe le son des mots, il est la forme qui enveloppe le langage quand il se fait pensée (Eidos),  il est ce que pressent l’Homme devant la Femme quand il sait qu’il est sur le point  d’ y succomber. La Femme est la langue des dieux, celle qui souvent devance l’Homme au point de lui annoncer son destin, son advenir. La Femme, est l’archétype des sirènes. Leur voix vient conter à l’Homme l’histoire de la Femme, qui annonce ses moments glorieux, de révélation. La Femme est la révélation de l’Homme et c’est pourquoi  le dernier messager, le Christ dans son symbole, vient abolir la religion pour que nous fassions Un avec Elle, l’Homme et la Femme ne faisant plus qu’une seule chair. Quelle chair ? La chair profonde, ensemencée par les dieux, celle capable de redonner à L’Homme (ré-intégrant la Femme dans son corps) l'opportunité, celle de regagner  sa force d’éther-nité, par son retour à la source des sources. Entendre la voix des sirènes, la voix de la Femme devant laquelle s’effaceront les dieux et déesses. Athéna connaissait le risque, celui d’abandonner son protégé à sa promise. Qui pouvait tenter et réussir à s’approcher des sirènes sans s’échouer, sinon Ulysse ? Il aurait fait le « pas » inaugural qu’attendait le projet des dieux : la rencontre de l’Homme avec la Femme. Alors comment entendre ce chant et se libérer de la loi des dieux, quand elle ne cherche parfois qu'à  nous materner ?  

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