dimanche 24 janvier 2016

Coupure, espace et temps... : le refoulement originaire.



  
   L'espace n'est que la projection de notre temps-émotion.


     Le temps est intimement intriqué avec notre émotion, et l'on peut dire que le temps commence, évolue dans ses multiples variations, qu'en se mêlant à l'émotion que le sujet humain déploie depuis son corps vers un point d'horizon autour duquel un espace peut se dessiner.


L'animal ne connait que ses besoins (instinctifs, de survie et de reproduction), et sa vie qui s'énonce autour du Besoin vital n'engendre que deux émotions primaires : la colère (pour mobiliser ses ressources et répondre à la menace) et le calme vers lequel il tend et dans lequel il se repose dès que sa survie est assurée. Ses rapports charnels ne sont pas si éloignés de la colère qu'il déploie à l'encontre de ses agresseurs. D'ailleurs le "ne pas se reproduire" équivaut à mettre, pour de nombreuses raisons, sa vie en péril. Ainsi, il n' y a pas d'espace pour l'animal parce qu'il n'y a pas de temps pour lui à proprement parler. Son espace est plutôt un territoire à trois dimensions, la quatrième (temporelle) lui manque. La colère ou le calme le prive d'anticipation, de regret ou de tristesse, l'enfermant dans un présent continu, une durée sans interruption, puisque le corps domine tout écoulement de ses pulsions sans différer ses satisfactions. Le corps est le présent continu, le substrat de toute temporalité, l'Aïon, "le principe de continuité".

L'Homme, lui qui tisse un lien avec autrui dont il dépend complètement dès sa prime et jeune enfance, connait le diktat de l'autre auquel se soumettre s'il veut survivre. Sa dépendance pour satisfaire ses besoins le conduira à se soumettre au règne du discours et des règles conventionnelles, convertissant son besoin en demande, demande qui subira  l'alternance de la sanction ou de la récompense de la part d'autrui. L'Emotion elle aussi, connaitra un premier clivage pour faire émerger après la colère et le  calme présidés par le "soma animal", la joie et la tristesse indexées à la réponse que pourra apporter  "l'autre" à nos demandes. L'ennui ou la mélancolie ou bien le dégoût ne seront que des déclinaisons de la tristesse de la même manière que toute joie sera liée au sentiment de fierté, celle qui naît de recevoir d'autrui la validation de notre demande.
Le temps est alors dévoyé de son présent continu, extrait de notre intériorité telle l'extase heideggérienne pour quitter l'Aïon et pour se fractionner dans la discontinuité du Chronos. L'expérience de la séparation ou de l'ambivalence inaugure  le morcellement temporel dans l'apparition de sa triade fragmentaire du temps mondain, à savoir du passé, du présent et du futur. L'Homme devient le "fauve de l'anticipation" et fait l'expérience du refoulement originaire : la conscience de sa finitude qui lui ouvre l'horizon du monde, sur le mode de sa mort à venir. Le règne de la discontinuité est la "projection émotio-temporelle" qui le sépare de son corps et qui devient annexé au monde des objets (dont l'autre fait aussi partie). C'est parce que l'Homme s'identifie aux objets et à ses semblables qu'il crée un rapport temporel sur le mode du temps et ekstatique.  Il en vient à considérer la mort de ses semblables et la perte de ses objets à sa fin personnelle alors que jamais il ne pourra vivre sa propre mort. Ce temps factice et construit autour de la relation objectale inscrit l'homme dans un dessein qui le soumet à un certain type d'émotions, de temps et d'espace. C'est ici que "l'aliénation" agit bien avant l'éruption du langage par lequel celle-ci connaîtra son acmé.


Le troisième terme qui unit les deux autres (Aïon et Chronos) est le Kairos qui est la coupure qui sépare la continuité de la discontinuité. Le destin de l'Homme est l'avènement du Kairos, puisqu'il est le passage ou l'articulation du temps qui ouvre l'espace à l'intérieur duquel sa force peut se mouvoir, créer et le desaliéner. Aussi, si le temps crée l'espace, l'émotion primordiale kairique a son mot à dire. Du point de vue du créé, de l'Homme, le Désir avec un grand "D" dépasse le désir freudien ou lacanien en ce sens qu'il vient dans son œuvre interpeller ou tenter l'incréé pour répondre à une autre forme demande, celle qui s'origine dans une autre forme de refoulement originaire dont la dimension est ontologique cette fois-ci. Ce Désir est l'écho qui résonne encore de l'absence provenant du retrait du Commencement. Le Commencement par lequel "la première tension est apparue dans la matière inanimée" pour reprendre une formule lacanienne. Ce silence assourdissant, emplit d'un bruit innommable et surchargé, est celui que le poète capte et relance d'une manière incessante dans son chant poétique afin de le renouer à l'écho que l'Homme perçoit encore du Désir originel qui a marqué de son sceau sa chair invisible. Notons que ce Désir, et c'est ma thèse, ne provient aucunement d'un "manque" à la différence de la thèse platonicienne ou lacanienne, mais d'un "excès" qui vient troubler l'inanimé. La pulsion de mort qui chercherait à  retrouver l'état inanimé ou inorganique est en fait la cause de cet excès ontologique qui nous pousse à vivre, le Désir ne cherchant pas s'y opposer (comme la pulsion de mort) ou à le subir mais à interroger le sens de ce débordement qui agite l'inanimé. Le Désir est le point de convergence et de liaison entre la pulsion de mort et de vie, entre l'inconscient primaire.
 Il est la pulsion traverse l'inconscient et le conscient, les deux mondes temporels de la continuité et de la discontinuité, pour surmonter cette coupure radicale entre l'inconscient et le conscient. Coupure qui fait limite mais non séparation. Coupure qui réclame cependant qu'on lui accorde allégeance et honneur. L'Art se dévoue à cette tâche par la force invocante et advocante  qu'elle déploie en direction d'un temps dont la fracture ouvre un espace vivant pour reconnecter l'Homme à ses nombreux  pouvoirs perdus dans l'oubli du temps qui s'évanouit dans la discontinuité sans fin. "L'Emotion interpelante" qui relie le temps à l'Être et qui stoppe le mouvement discontinu du temps pour le remettre à la Providence, est celui du Cri déchirant, du sanglot que l'on peut contenir, qui s'échappe du corps comme du réseau interconnecté des objets et des autres, pour faire irruption dans l'arrière-plan du monde. Cet arrière-plan du monde est l'être-temps qui enclot notre monde mortel, celui de la relation sujet-objet, et qui est seul capable d'ouvrir l'homme à un autre monde  dont la phénoménalité serait métamorphosée par l'Emotion qui y règne. Car le cri déchirant perçoit dans l'écho de sa détresse la réponse salvatrice qui faisait tant défaut au cri sans appel camusien. La détresse et le péril encourus par le poète enjoignant le cri déchirant de l'homme à retentir dans leur quête commune, seront entendus !  Car la réponse provient de ce cri qui annonce l'avènement d'un temps à venir qui préfigure l'espace de l'Être qui recherche à fonder un  nouveau monde. De ce nouveau monde, l'Homme n'en sera que l'invité et non l'habitant.





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