vendredi 8 avril 2016

Le Poète et la Rose


L'histoire est le temps de l'homme. Mais elle ne dit pas à elle seule ce qu'il est, quand son existence touchant à sa fin, il emporte avec lui son dernier secret.
Le poète et sa destinée étaient voués à une seule rencontre. Comme pour chacun. Mais le poète ignorait tout de celle que l'univers lui avait réservée, tant il conspirait dans l'anonymat de ses signes, à vouloir le surprendre.
Très tôt, très jeune, il défendait la beauté quand les hommes ou les évènements venaient la salir. Il faut dire que bien souvent, les souillures provenaient de l'intention des hommes qui cherchaient à s'approprier ou à détruire. Il est vrai que la Nature faisait  disparaitre elle aussi sur son passage et par son déchaînement démesuré, la Vie que nous retenions péniblement dans nos corps frêles. Mais elle était belle malgré tout, en dépit de son entreprise aveugle de destruction, parce que nous sentions que sa force était la même que celle qui nous animait de l'intérieur, celle qui nous enjoignait à rire comme à pleurer. Le poète avait surpris un jour, une tornade qui avait emporté sauvagement une fleur dans sa spirale ascendante. Aspirée par ce tourbillon géant, elle avait été happée par une force centripète invisible, qui la conduisit directement au centre du ciel. Il savait qu'elle ne boirait plus jamais la liqueur de la terre, ni le calice des perles nébuleuses, mais il avait trouvé cet acte merveilleux,  cette capture surréaliste qui avait conduit une rose un peu plus près du soleil.


Ainsi le poète ne fît de son existence que la tentative désespérée de rencontrer un jour la beauté, qui lui échappait sitôt qu'il s'en approchait. La poésie était devenue sa lyre, et sa pensée inflexible et tranchante, son arc dont les flèches visaient les imposteurs du Réel. Ceux qui reléguaient le Beau au second rang, qui le plaçaient dans le registre du goût et du subjectif. Le poète, lui, ne voyait aucune séparation entre le Beau, le Vrai et le Bien. Il était impossible de  voir l'un sans apercevoir les deux autres. Et la Rose incarnait le mieux à ses yeux la beauté, sans pareil, celle qu'il fallait regarder, approcher, sentir et ressentir, pour découvrir le chemin invisible qui surplombait notre plate réalité. Un chemin qui joignait la Terre et le Ciel, comme la main qui porte l'alliance, renvoie à celle qui lui est dévouée.
Les mots qui chantaient l'hymne de son parfum, de sa posture, de son éclat, transportaient le ciel vers la terre, les sommant tous deux de consommer pour la seconde fois leurs noces de miel.
Il avait donc appris à la regarder, la sentir et à s'émouvoir devant elle, pour maitriser l'art de sculpter la chair du langage, et lui redonner les frissons qu'elle attendait tant. Bien vite, il vu que la Rose faisait signe vers la Femme et qu'inversement, la Femme ne se pouvait se lire que sur un pétale de rose, tant sa fragilité, sa rareté, exigeaient un support aussi doux, velouté que réconfortant, afin qu'elle se livre sans pudeur dans sa pure nudité.  Le monde du poète se résumait donc à sa bien aimée qui, sans cesse promise ne pouvait être possédée, et à la Rose qui n'attendait rien de lui, puisqu'elle désirait  le soleil vers qui tout son corps se cambrait pour lui faire face et le regarder. C'est dans cet écart infranchissable que le désir poétique se logeait,  pour interpeller les rimes et faire résonner l'abîme, du langage.
Mais les jours hideux que l'Histoire nous conte, sont ceux des hommes sots et sordides, qui s'emploient à répandre leur laideur là où la beauté sommeillait paisiblement dans le refuge que la poésie lui avait construit. Le poète dû donc se résoudre à risquer sa vie puisque le refuge qu'il lui avait fabriqué, ne suffisait plus à la protéger des menaces qui voulaient la détruire. C'est l'épisode des moments noirs de l'histoire qui sous la figure de la guerre, emporte dans son sillage mortifère les âmes innocentes. Mais le poète pouvait-il se changer pour autant en guerrier pacifique, en chevalier magique, qui à coup de mots, de métaphores ou de rythmiques, ébranlerait le mur que la Mal avait érigé en forteresse, grâce au concours de ses complices masqués ? Le poète n'ignorait pas que la poésie ne pouvait rien contre Lui. Que l'acier pouvait broyer l'éther. Que les hommes maniant le glaive, emportaient toujours avec eux le succès d'une bataille, même s'ils ne gagnaient pas pour autant la guerre. Le temps évidemment n'avait pas de prise sur la beauté qui survivait toujours à elle-même dans le relais que les mots lui offrait. Si le poète devait mourir, sa poésie lui survivrait. Avait-il déjà assez écrit, assez ressenti la Rose, aimer la Femme, pour que sa mort n'entame en rien le destin qu'il s'était fixé ?
Parti dans le maquis de la résistance, défendant la Liberté qui en tout temps devait se mettre au service de la beauté, le poète n'éprouva aucun doute sur la nécessité de son engagement, si ce n'est le temps d'un baiser. Dire adieu à sa bien aimée dans l'espoir de la revoir pour ne plus jamais la quitter. Mais le Destin en avait déjà décidé autrement.
C'est ainsi que les machines d'acier et leurs chenilles acérées, vinrent à bout de l'écrin dans lequel la poésie du condamné s'était réfugiée.
C'est ainsi que l'on trouva le poète abandonné, agonisant au milieu des autres corps putréfiés, tenant une rose qu'une infirmière lui avait donnée. Une femme qui avait cueillie au moment même où la guerre s'était achevée, une rose seule, 'poussée derrière les barbelés'. C'est ainsi que le poète emporta dans sa tombe, et dans l'éternité de notre mémoire, la seule rose que le vent ne pût emporter. Le jour de ses adieux, il aura été le soleil d'une rose, et pour tous les jours qui ont suivi, le nôtre par sa poésie  .




                                                                                                A Robert Desnos.




                                                                                                       Philippe David Belardi. 8 avril 2016.

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