jeudi 7 avril 2016

Ma petite conscience



   Mélusine était une petite fille de 8 ans qui était déjà vouée à un bien drôle de destin. Hormis son prénom qui lui donnait du mystère, elle n'était pas comme les autres enfants qui chahutaient entre eux dès que la cloche sonnait le début de la récréation. Isolée des autres, elle s'était emmurée dans un mutisme qui faisait d'elle une petite fille timide, peu courageuse aux yeux des autres qui ne manquaient pas de se moquer d'elle, et de la bousculer à la moindre occasion. Alors, elle attendait patiemment la fin des cours pour rentrer chez elle où elle taisait toutes les méchancetés qu'on lui faisait vivre. L'école, puis le collège, les années s'étant écoulées, étaient devenus les lieux de torture par excellence, si bien que le niveau de ses notes était devenu tout juste moyen de sorte à n'attirer l'attention de personne. Car il fallait absolument passer inaperçue, se faire discrète, voire s'effacer devant tout regard qui viendrait croiser le sien. Il est vrai que son enfance n'avait pas favorisé sa confiance en elle, mais nous savions qu'être enfant, c'était souvent être incompris du monde des adultes et parfois même des enfants qui voulaient à tout prix leur ressembler.
Mélusine avait donc grandi dans son monde imaginaire, et pour le protéger, le garder à distance des autres, la meilleure frontière qu'elle avait trouvée, était le silence. Elle prononçait le minimum de mots pour exprimer ce qu'elle souhait dire, ce qui donnait à son discours une simplicité qui, longtemps perçue comme une forme atténuée  d'autisme,  ressemblait davantage au fil des années, à de la sagesse. Elle parlait peu comme les grands sages et du coup, c'est tout son corps qui parlait à la place de sa bouche. Elle était capable de vous transporter dans son monde d'un mouvement d'épaules ou d'une simple expression de regard, qui de toutes les façons aurait été impossible à traduire en mots.
Mais sa solitude lui était pesante, de même que ses parents voyaient bien que quelque chose clochait. Elle n'était pas comme les autres. Enfant elle restait prostrée devant sa poupée, devenue adolescente, elle ne sortait pas avec ses copines de son âge flâner ça et là au gré des rencontres et des lieux à la mode.
Si bien qu'après avoir consulté les meilleurs spécialistes sur la question, ses parents s'avouèrent vaincus et se dirent qu'après tout il fallait peut être respecter sa différence. Que cette différence faisait d'elle un enfant unique. Pourtant rien ne peut tromper l'intuition qui provient du cœur d'une mère pour son enfant, et ce soir là, alors que Mélusine l'avait embrassée pour regagner sa chambre et s'endormir, sa maman s'effondra dans un chagrin si profond et si immense, que ses sanglots ne parvinrent pas à s'épuiser. Elle tentait en vain de se contenir de peur d'attirer l'attention de Mélusine et de son mari, mais rien n'y faisait. Elle implora alors sa conscience de lui venir en aide, faute de pouvoir prier puisqu'elle ne croyait ni en Dieu, ni au diable.
Dans l'obscurité de sa tristesse et de son ciel assombri, un soleil vint pourtant à sa rescousse, depuis son fort intérieur, réchauffant tout son corps de sa tête aux pieds. Elle eu un moment très peur, supposant qu'elle faisait une attaque du cœur ou autre chose de ce genre, mais une voix étrangère et familière à la fois, se présenta à elle pour lui dire :
- "Je suis ta petite conscience, et je te parle que dans les moments extrêmes et tragiques, quand tu te sens incapable de trouver la solution à ce qui te fait souffrir".
Rassurée, elle implora que la voix poursuive son discours pour lui donner un conseil, pour elle et Mélusine.
-"Je suis ta petite conscience et je suis là pour veiller sur toi tout d'abord. Je suis là pour te dire que tu ne risques rien et que ce qui te cause de la souffrance ne dure jamais, à condition que quelque chose vienne te dire et te promettre, qu'un meilleur moment t'attend. La peur est cause de souffrance, et la souffrance cause de tristesse. Je peux t'assurer que ta tristesse est passagère. Alors ne t'inquiète pas pour Mélusine".
-"Je te remercie 'petite conscience', pour m'avoir rassurée, mais si j'ai bien compris, je ne peux rien faire pour ma fille. A quoi sert-il d'être maman si l'on peut rien transmettre à son enfant, ne serait-ce que la confiance en soi, celle qui lui permettra d'affronter le monde et les autres, sans en avoir peur ?"
La petite conscience lui expliqua que la meilleure manière de transmettre était de devenir un modèle pour son enfant : en n'ayant plus peur, notre enfant qui nous observe et pour qui nous sommes son modèle, parvient à nous imiter et en imitant quelqu'un qui n'a plus de peur, il se libère de la sienne.
La mère de Mélusine remercia encore une fois sa petite conscience, ayant compris son enseignement, mais  pleura encore abondamment, car son "exemple de mère" n'avait pas suffit à protéger Mélusine de la peur. Il fallait se rendre à l'évidence, le changement qui se faisait en elle grâce au réconfort et l'aide de sa petite conscience, venait trop tard pour résoudre le problème de Mélusine. Il ne lui restait plus qu'à pleurer toutes les larmes de son cœur.
C'est ainsi que 'la petite conscience', devant son impuissance à consoler l'être dont elle était responsable, outrepassa ses devoirs et ses droits pour la première fois.
Elle reprit la parole pour lui réchauffer mieux encore sa  tête, son cœur et son corps tout entier, faisant s'évaporer toutes les larmes qui s'y étaient déposées.

-"Je vais te faire un cadeau mais c'est toi bien sûr qui le fera, puisqu'une la voix de la conscience ne peut que 'parler'... mais je peux aussi  'faire' à travers toi. Je te demanderais donc de fabriquer pour moi un tout petit nounours, tout simple, pas plus large et plus long qu'une main, qu'une main capable d'apaiser les souffrances ou guider celui ou celle qui se sent  perdu. Je sais que tu sais coudre et que tu disposes de tout ce qu'il te faut pour le faire ce soir. Une fois que tu l'auras fait, dépose le à côté de Mélusine, dans son lit, pendant qu'elle dormira. Ne dis rien, fais ce que je te dis et tu verras".







Epilogue

Le lendemain Mélusine vint au petit déjeuner le visage tout illuminé, les yeux pétillants, toute enjouée de s'asseoir à table où son chocolat au lait l'attendait.
-"Qui donc m'a mis dans mon lit pendant que je dormais un nounours, j'ai quand même plus cinq ans ! ".
Elle le tenait contre elle avec sa main gauche, son autre main tournant la cuillère de son son chocolat de manière appliquée et harmonieuse. Avant que sa mère ne s'explique, Mélusine poursuivit son discours, elle qui ne parlait jamais à son réveil ni d'ailleurs au moment d'aller se coucher.
-"Tu sais elle m'a parlé maman cette nuit dans mon rêve si bien qu'à mon réveil je n'en croyais pas mes yeux, qu'elle soit là en chair et en os, ou plutôt en peluche je devrais dire. C'est fou mais mais je t'assure qu'elle m'a rassuré... elle semblait lire en moi comme personne, et elle a su me dire avec ses mots, ce que je voulais depuis tant de temps me dire à moi même. Elle m'a parlé comme dans une langue que j'ai toujours connue, peut-être celle qui m'a appris à parler. Je sais que c'est toi maman..."
Elle s'effondra en larmes dans les bras de sa mère pour lui glisser entre deux sanglots, encore quelques mots qu'elle ne pouvait plus  contenir  :
- " Tu sais c'est bête ce que j'ai vais te dire, mais j'ai toujours attendu ce moment, même si tu m'as fait des tas d'autres cadeaux. Dis moi maman, comment je vais l'appeler, je sais c'est trop bizarre mais, j'ai envie de lui donner un nom".
- "C'est ta petite conscience Mélusine, elle veillera toujours sur toi, comme je veillerai toujours sur toi ma chérie".


Mélusine avait ainsi trouvé ou retrouvé sa petite conscience, et plus rien dans le monde ne pouvait lui faire peur. A chaque fois qu'elle rencontrerait un obstacle, un doute, elle saurait que dans son sommeil, la réponse lui viendrait pour se montrer au grand jour dès son réveil. Elle se dit alors que puisque rien de mal ne pouvait plus lui arriver, elle ferait tout ce qui l'enchante. Et pourquoi pas une autre petite conscience en peluche, au cas où l'idée d'en offrir une à quelqu'un de très spécial, lui viendrait à l'esprit.

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